Le scénario négaWatt

Cet article présente le scénario négaWatt, qui propose une solution d’alimentation de la France exclusivement en énergies renouvelables. Il est basé sur les informations du site négaWatt, et notamment les deux documents de présentation du scénario négaWatt 2017-20501.

Le terme négaWatt a été forgé par Amory Lovins, expert américain des stratégies énergétiques et fondateur du Rocky Montain Institute2, pour désigner l’énergie non consommée ou économisée grâce à des actions de sobriété ou d’efficacité énergétique. Amory Lovins prône une stratégie énergétique basée en premier lieu sur de telles actions.

L’association négaWatt a été créée en 2001 afin de promouvoir en France une stratégie énergétique fondée sur cette démarche. Elle est dirigée par un collège d’une vingtaine d’experts3.

Son objectif est de montrer qu’il existe un autre avenir énergétique, qui permet de répondre aux défis du dérèglement climatique, de l’épuisement des ressources et du risque d’un accident nucléaire, que cet avenir est réalisable techniquement et qu’il est souhaitable pour la société. Elle a construit un scénario visant à une alimentation énergétique basée exclusivement sur des énergies renouvelables et permettant d’atteindre la neutralité carbone4 à l’horizon 2050. La dernière version de ce scénario, négaWatt 2017-2050, a été publiée en janvier 20175.

Ce scénario repose sur trois axes : réduire les besoins dans les usages individuels et collectifs grâce à une logique de sobriété, diminuer la quantité d’énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins par une meilleure efficacité énergétique, et développer de façon volontariste les énergies renouvelables. Il comporte une évaluation de ses impacts socio-économiques et environnementaux.

La stratégie est déclinée pour chacun des différents secteurs de consommation : bâtiment, transport, industrie, agriculture.

L’année de référence est 2015, année où la France a consommé 1830 TWh6.

Dans le secteur du bâtiment, les actions de sobriété visent une hausse modérée du nombre de personnes par logement (favorisée par les nouvelles pratiques de l’habitat), une réduction de la part de maisons individuelles dans la construction neuve (20 % en 2050 contre 46 % en 2015), une diminution des surfaces neuves construites dans le logement et le tertiaire au profit de la réhabilitation de bâtiments existants, et l’élimination des gaspillages, notamment dans la consommation d’électricité. Concernant cette dernière, le scénario prévoit une marge pour tenir compte de l’apparition de nouveaux usages.

L’amélioration de l’efficacité repose sur la rénovation thermique performante de la quasi-totalité du parc immobilier existant (780 000 logements et 27 millions de m² de surfaces tertiaires rénovés par an7), l’obligation pour les bâtiments neufs de consommer très peu d’énergie et d’être construits avec des matériaux à faible énergie grise8 (bois, terre crue, isolants biosourcés, etc.), et enfin la généralisation systématique des appareils électriques les plus performants du marché.

L’ensemble de ces mesures de sobriété et d’efficacité doit permettre de diminuer la consommation liée aux bâtiments résidentiels et tertiaires de plus de la moitié. L’énergie restant nécessaire devient renouvelable grâce à un recours massif aux pompes à chaleur performantes et au bois énergie pour le chauffage, ainsi qu’à une forte hausse de la part de l’électricité pour la cuisson.

Concernant le transport des personnes, la sobriété passe par la baisse de la vitesse sur route (80km/h) et autoroute (110 km/h), un report important des déplacements en voiture et en avion vers les transports en commun et les modes actifs (marche, vélo), une diminution d’environ 15% des distances parcourues (par exemple en facilitant le télétravail), et le développement du covoiturage (le taux d’occupation moyen des voitures passant de 1,6 à 1,8).

Pour le transport des marchandises, il s’agit de réduire les tonnages transportés d’environ 20%, d’augmenter le taux de remplissage des camions et reporter le transport routier vers le ferroviaire et le fluvial. In fine le transport routier de marchandises est divisé par 2.

L’efficacité énergétique des transports repose sur une baisse de la consommation moyenne de 60 % pour les voitures et de 40 % pour les poids-lourds.

L’énergie consommée par ce secteur baissera ainsi de 60 % entre 2015 et 2050, et elle deviendra renouvelable en basculant du pétrole vers le gaz et l’électricité9 renouvelables.

Dans le domaine de l’industrie, la logique est d’aller vers des produits durables et réparables. La première mesure de sobriété en la matière est donc l’allongement de la durée de vie des objets. Il faudra également réduire les emballages, augmenter le taux de recyclage, et substituer des matériaux biosourcés aux matériaux non recyclables ou issus de ressources non renouvelables.

En matière d’efficacité, les rendements des process industriels peuvent encore être améliorés grâce à l’utilisation systématique des meilleures technologies disponibles.

Au global, l’énergie consommée par ce secteur baisserait de moitié. Il faut préciser que le scénario négaWatt se base sur une production industrielle à périmètre constant jusqu’en 2050, c’est à dire qu’il n’inclut ni davantage de délocalisations, ni une relocalisation de l’économie. Il y a deux raisons à ce parti pris de statu quo : prévoir les délocalisations ou relocalisations dans les trente prochaines années est un exercice hasardeux, et cette hypothèse permet la comparaison avec les autres exercices prospectifs.

Le volet agriculture s’inspire directement du scénario Afterre 2050, mis au point par l’entreprise associative Salengro10. L’objectif en est de nourrir population et cheptels ainsi que de fournir biomatériaux et carbone renouvelable pour l’énergie et la chimie, tout en préservant la santé des populations, en restaurant la biodiversité, et en luttant contre le changement climatique . Ce scénario a été construit grâce à une matrice de modélisation, MoSUT, conçue par Salengro. Il a été retenu parmi toutes les modélisations testées, comme semblant le plus équilibré, le plus réaliste, et le plus solidaire en matière d’exportation11.

Il s’appuie sur les meilleurs systèmes et les meilleures pratiques agroécologiques et forestières connues à ce jour et sur le choix de cultures et animaux rustiques et capables de s’adapter aux terroirs et aux changements climatiques. Il prévoit le développement de la méthanisation, afin de boucler le cycle de l’azote, facteur clé des rendements.

Basé sur la même philosophie que le scénario négaWatt, il raisonne à la fois sur l’offre et la demande, et vise la mise en adéquation de cette dernière avec les potentialités de nos écosystèmes. Il intègre donc les exigences de réduction des sur-consommations et des gaspillages de toutes natures. Il mise aussi sur l’incontournable évolution de notre assiette, qui contiendra en 2050 un tiers en plus de céréales, de fruits, de légumes, moins de sucre et jusqu’à deux fois moins de lait et de viande – régime qui s’apparente aux régimes méditerranéens d’aujourd’hui.

Ainsi en 2050 les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture seront divisées par 2, les traitements pesticides la consommation d’engrais chimiques seront divisés par 3, les besoins d’eau pour l’irrigation en été seront divisés par 4. Ses besoins en énergie seront assez peu diminués, mais elle sera elle-même productrice d’énergie.

Cette approche par secteur de consommation ne doit pas masquer l’aspect global et systémique du scénario négaWatt, qui est basé sur un aménagement du territoire et des modes de consommation et d’alimentation entièrement repensés. Limiter les nouvelles constructions et l’étalement urbain permet à la fois de réduire les énergies grises du secteur du bâtiment et le besoin en transports de personnes et est indispensable au déploiement du scénario Afterres 2050. Réparer plutôt qu’acheter de nouveaux biens réduit l’énergie nécessaire à leur fabrication, mais aussi à leur transport. Les nouveaux modes d’agriculture, comme le programme de rénovation énergétique créent des emplois dans les territoires ruraux, permettant de valoriser un parc de logement sous-utilisé, en même temps que cela diminue les besoins de construction dans les secteurs urbains…

Dans ce nouveau modèle, les besoins en énergie finale passent de 1830 TWh en 2015 à 806 TWh12 en 2050, et grâce à une meilleure efficacité de sa transformation, l’énergie primaire nécessaire à ces besoins passe de 2800 TWh à 1000 TWh.

Les énergies renouvelables assurent 99,7 % de cette production. Près de la moitié de ce total provient de sources électriques, et plus de 40 % de la biomasse.

La production éolienne terrestre et en mer croît de façon très soutenue pour atteindre une production de 247 TWh et devenir la première source d’électricité. Le parc terrestre est multiplié par 3,1 d’ici 2050, soit un total d’environ 18 000 éoliennes13 Il est complété par l’implantation d’éoliennes en mer sur fondations et par des éoliennes sur barges flottantes.

Le photovoltaïque connaît lui aussi un essor important, sous diverses formes (petites installations sur maisons individuelles, installations de taille moyenne sur des bâtiments plus importants, ombrières de parkings ou grands parcs au sol sur des friches industrielles ou des terrains délaissés impropres à l’agriculture) et produit 147 Kwh.

Filière historique, l’hydraulique ne dispose pas d’un potentiel important de développement, et sa production annuelle reste globalement stable à 54 TWh. Enfin, pour la filière des énergies marines (hors éolien off-shore), dont les retours d’expérience ne sont pour l’instant pas tous probants, le scénario n’envisage qu’une production d’environ 14 TWh à l’horizon 2050.

L’éolien et le photovoltaïque ont un caractère variable. Par conséquent la puissance totale installée14 doit être très nettement supérieure à la pointe de puissance appelée par les consommateurs, ce qui pose la question de la valorisation des excédents. La solution retenue est celle du « power-to-gas »15 qui combine la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau et, lorsque les volumes deviennent vraiment importants, la réaction de ce dernier avec du CO2 pour produire du méthane de synthèse.

Autre gaz renouvelable, le biogaz issu de la méthanisation est produit à partir de résidus de cultures, de déjections d’élevage, de biodéchets, et de couverts végétaux. Les installations de méthanisation fournissent également de l’azote d’origine biologique ainsi que le gaz carbonique nécessaire à la fabrication du méthane de synthèse.

Suivant le principe qui interdit de dédier des terres à la seule production d’énergie, le bois-énergie est issu des résidus de l’usage du bois comme matériau, ou d’opérations de sylviculture permettant d’assurer une meilleure adaptation de la forêt au changement climatique, ou encore de la valorisation des arbres « hors forêt », notamment de l’agroforesterie.

Enfin, il est prévu une production de biocarburants de seconde génération à partir de matériaux lignocellulosiques16 pour les usages qui nécessitent des carburants liquides, comme l’aviation.

Les biogaz peuvent en cas de besoin assurer une production électrique d’appoint et contribuer à assurer la sécurité du réseau. Les deux vecteurs gaz et électricité sont donc dans le scénario négaWatt complètement liés et complémentaires.

Pour sa mise en œuvre, le scénario négaWatt prévoit des mesures de divers ordres :

  • règlementation : rendre progressivement obligatoire la rénovation du parc bâti existant ; réduire la vitesse maximale autorisée ; augmenter la durée légale de garantie des équipements…
  • structuration de filières : renforcer la formation de l’ensemble des acteurs du bâtiment à la rénovation globale et performante ; développer la filière des véhicules au gaz ; développer celle du réemploi par exemple par l’instauration de consignes ; simplifier, clarifier et stabiliser le cadre règlementaire et économique de toutes les filières renouvelables et leur reconnaître le statut d’activité d’intérêt général ; réformer le cadre juridique et les pratiques des gestionnaires de réseaux…
  • financement : dispositifs simplifiés de financement de la rénovation énergétique ; investissements dans les transports en commun…
  • politique fiscale : taxe kilométrique sur le fret routier ; révision de la fiscalité sur les carburants ; arrêt de la subvention au transport aérien…
  • politique d’aménagement : densification de zones habitables ; priorité au petit collectif sur la maison individuelle ; aménagements favorisant le vélo, les transports en commun ou le covoiturage…

Le scénario négaWatt permet d’atteindre en 2050 la neutralité carbone. En effet les émissions brutes de gaz à effet de serre (GES) sont réduites à 71 MteqCO217 en 2050, contre 480 MteqCO2 en 2015, tandis que le puits de carbone national atteint 80 MteqCO2, grâce aux pratiques culturales du scénario Afterres, qui permettent le stockage de carbone par l’agriculture.

Il conduit de plus à une amélioration considérable de la qualité de l’air.

Il est économiquement viable, puisque sur la période 2017-2050, il permet d’économiser près de 400 milliards d’euros par rapport à un scénario de maintien des politiques actuelles, en raison notamment de la forte baisse des importations d’énergies fossiles. Ces économies sont bien plus importantes que les investissements nécessaires pour mener à bien la transition énergétique18. Enfin le déclin des emplois dans les secteurs des transports et du nucléaire, déjà engagé, est largement compensé par le dynamisme des secteurs du bâtiment et des énergies renouvelables. Cumulées, les créations et les destructions d’emplois représentent un bilan positif par rapport au scénario tendanciel de plus de 150 000 emplois en 2022, 400 000 en 2030 et 600 000 en 205019.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site de négaWatt : https://www.negawatt.org/

Vous pouvez également vous référer à l’étude de RTE (Réseau de Transport d’Electricité) et de l’AIE(Agence Internationale de l’Energie), parue en 2021, qui confirme la faisabilité théorique d’un mix énergétique français à forte proportion d’énergies renouvelables à horizon 2050, et en précise les conditions :

https://www.rte-france.com/actualites/rte-aie-publient-etude-forte-part-energies-renouvelables-horizon-2050

S.F.G.

1https://negawatt.org/Les-grandes-lignes-du-scenario-negaWatt-2017-2050 et https://www.negawatt.org/IMG/pdf/synthese_scenario-negawatt_2017-2050.pdf

2 centre de recherche et d’études américain sur l’énergie créé en 1982 par Amory Lovins

3 https://www.negawatt.org/La-Compagnie-des-negaWatts

4 La neutralité carbone est atteinte si les émissions sont assez faibles pour être absorbées par les puits de carbone : végétaux, océans

5 Le premier sécénario négaWatt est paru en 2003, les suivants en 2006 et 2013

6 un terawattheure vaut 1012 Wh ou encore un milliard de kWh ; cette consommation se décomposait comme suit : bâtiment: 781, transport: 596, industrie: 387, agriculture: 66

7 L’objectif actuel est de 500 000 logements réhabilités par an

8 L’énergie grise d’un bâtiment est celle mobilisée pour sa construction

9 Réservée aux trajets urbains et péri-urbains

10 « Solagro est née en 1981 à Toulouse de la volonté d’agriculteurs, de chercheurs et de professionnels de favoriser l’émergence et le développement, dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, de l’agriculture et de la forêt, de pratiques et de procédés participant à une gestion économe, solidaire et de long terme des ressources naturelles »

11 « Le solde exportateur diminue, mais nettement moins que dans le scénario tendanciel. Ceci répond à un souci de participation de la France à la sécurité alimentaire mondiale » 

12 bâtiment: 341, transport: 225, industrie: 183, agriculture: 57

13 À comparer aux 26 000 éoliennes déjà implantées en Allemagne fin 2015

14 La puissance installée en 2050 projetée dans le scénario négaWatt est de 49 GW en éolien terrestre, 28 en éolien maritime et 140 en photovoltaïque

15 Transformation d’électricité en gaz

16 Paille, bois

17 MteqCO: mégatonne d’équivalent CO2 , soit un million de tonnes d’équivalent CO2 ; l’équivalent CO2 est une unité qui sert à quantifier un gaz à effet de serre en fonction de son pouvoir de réchauffement global, en le ramenant à celui du CO2, choisi comme étalon

18 Évalués à 1 160 G€ sur la période

19 Cette ampleur de l’impact positif sur l’emploi du scénario négaWatt a été confirmée par le CIRED (Centre international de recherches sur l’Environnement et le Développement) sur la version 2011 : http://www2.centre-cired.fr/IMG/pdf/CIREDWP-201346.pdf

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