Illusion financière de Gaël Giraud Synthèse

publié le 4 décembre 2020

L’illusion financière consiste à croire que la dérégulation des marchés financiers et du secteur bancaire conduira à la meilleure affectation des ressources financières et assurera au mieux le développement économique.

L’expérience a prouvé pourtant qu’il n’en est rien, pour au moins deux raisons : la première est que les outils financiers, créés pour rapprocher le fonctionnement des marchés financiers d’un idéal théorique impossible, se sont révélés extrêmement dangereux. La seconde est que le fonctionnement des marchés financiers n’assure aucunement que soient prises les bonnes décisions d’investissement.

Pourtant la force de l’illusion financière est telle, que nos sociétés continuent de tolérer le développement de marchés dérégulés, malgré la récurrence d’un krach tous les 4 ans en moyenne.

La crise financière de 2008 a été particulièrement sévère ; elle a fait perdre en 6 mois 7 années de capitalisation boursières. Elle résulte de la formation aux USA d’une bulle hypothécaire basée sur l’hypothèse d’une croissance sans fin du prix des maisons. Cela a d’ailleurs en effet généré une hausse des prix : ceux-ci stables depuis un siècle ont doublé en 5 ans – avant de s’effondrer.

Les conséquences de cet éclatement auraient pu rester limitées aux États-Unis, sans la création de produits financiers1 qui se sont révélés toxiques.

Premier produit financier en jeu, la titrisation ; cela consiste à transformer une créance en actif financier échangeable sur un marché. Il pose un problème d’aléa moral, car le créancier n’est plus incité à exercer son métier de prêteur avec vigilance : s’il accorde un prêt risqué, ce n’est plus lui qui prend le risque du défaut de remboursement. Après un engouement excessif, la crise des subprimes2 a détruit la confiance dans ce type de produit et a plongé le marché interbancaire dans un coma dont il n’est toujours pas sorti.

Un autre produit s’est révélé particulièrement néfaste. Il s’agit d’un actif constitué d’un empilement de diverses créances, certaines sûres et d’autres douteuses. Cet actif est nommé CDO (Collateralized Debt Obligation). Créé en 1990, il atteignait 470 milliards de dollars en 2006 et 2 500 milliards en 2007, soit à peu près le PIB français. Il est très difficile d’évaluer le risque d’un produit de ce type, dit structuré, d’où la panique des détenteurs lorsque les défauts de remboursement apparaissent. On passe alors d’un excès de confiance à un excès de défiance.

Le troisième produit qui a démultiplié les effets de la crise est le CDS (crédit défault swap). Il s’agit d’actifs financiers qui servent de contrat d’assurance sur le risque lié à un crédit, et qui sont échangeables de gré à gré sur des marchés qui ne sont pas régulés. A la veille de la crise, le marché des CDS représentait 60 000 milliards de dollars, soit à peu près le PIB mondial. Il faut souligner deux différences majeures entre les CDS et un contrat d’assurance classique.

D’une part le CDS permet de s’assurer contre un risque qu’on ne porte pas, et cela sans que le porteur ne le sache ; en pratique cela revient à parier contre le porteur effectif de ce risque, puisque s’il fait faillite, les détenteurs de CDS le concernant toucheront cette assurance ; il est ainsi arrivé qu’une banque précipite volontairement une entreprise cliente dans la faillite en lui refusant un prêt de trésorerie légitime, parce qu’elle avait souscrit un CDS sur ce risque de faillite 3

D’autre part on peut s’assurer plusieurs fois ; ainsi la dette de Leahman Brothers avait été assurée 50 fois et il a fallu honorer les 50 contrats d’assurance lorsqu’elle a fait faillite: c’est comme si 50 banques Lehman Sachs avaient fait faillite le même jour4.

Les CDS sont un outil de pari qui aggravent la défiance: si une entreprise emprunte à une banque, elle peut se demander si celle-ci ne va pas parier contre elle, et avoir ainsi intérêt à ce qu’elle fasse faillite.

Ils ont un autre effet pervers important. Alors que le prix élevé sur les marchés d’un CDS signifie seulement que la demande est forte pour ce produit, nombre d’investisseurs interprètent ce prix comme l’indicateur d’un risque élevé ; ils demandent donc des taux élevés à l’emprunteur, le mettant en difficulté, et accroissant ainsi effectivement le risque de défaut. Cet effet pervers joue contre tous les types d’emprunteurs, États comme entreprises.

A noter également que les spécialistes avaient conscience des risques générés par ces outils et par la bulle ainsi créée. Alain Greespan 5 avait reconnu que cela constituait un risque fort, mais qu’il méritait selon lui d’être pris, au nom du projet de société américain « tous propriétaire ». Au final, après la crise, le taux de propriétaires est revenu à celui de 2001 et plus de 3 millions de ménages ont perdu leur logement entre 2008 et 2012…

Croire que ces outils allaient permettre ce projet du « tous propriétaires » était une illusion. Plus largement croire en l’efficacité des marchés financiers est une illusion.

En effet, les investisseurs sur les marchés financiers vendent ou achètent en fonction de leur anticipation de ce que vont faire leurs collègues. Par conséquent les prix sur les marchés dérégulés ne reflètent aucune valeur fondamentale. Ainsi les prix de l’immobilier ont pu être multiplié par 4 en 10 ans aux USA, sans que cela ne correspondent à aucune réalité économique ; de même le prix du pétrole est-il complètement volatil, soumis aux spéculations, et ne reflète pas la tension entre l’offre et la demande. De la même façon, les normes comptables qui régissent la comptabilité des entreprises cotées en bourses n’ont pas de sens économique.

Les marchés financiers n’ont donc pas l’efficacité qu’on leur prête. De plus ils sont dangereux en raison des taches solaires auxquels ils sont soumis6. La réinscription du droit et de l’interdit dans les marchés financiers s’avère urgente.

En vertu de la croyance selon laquelle le secteur financier serait plus efficace et responsable que les États, toujours soupçonnés de faire « tourner la planche à billets », la création monétaire a été confiée à la seule Banque Centrale Européenne, et il a été décidé que celle-ci serait indépendante. Ainsi elle ne crée pas de monnaie à la demande des États, mais à celle des banques privées, lorsque ces dernières ont besoin de renforcer leurs réserves. Or non seulement la création monétaire a été depuis extrêmement importante, mais de plus l’économie réelle n’en n’a pas profité.

Les États ont payé au prix fort cette décision, en raison du coût de l’endettement public qui en est résulté. Endettement qui a explosé, du fait de l’obligation de sauver un système bancaire dont les dérives sont devenues hors de contrôle des États alors même qu’ils doivent in fine les assumer.

Avant le krach de 2007, la dette publique de la zone euro était stable à environ 70 % du PIB7; elle était même en baisse depuis 2000. C’est l’obligation de sauver les banques qui l’a fait augmenter depuis, pour atteindre 88 % du PIB en 2011.

De son côté la dette privée financière augmentait au contraire de plus en plus fortement, et cette course a repris dès 2010 après une courte pause due au krach. Cette dette atteint 140% du PIB en 2011, bien plus que la dette publique.

Ce n’est pas l’incurie des États qui est en cause dans l’endettement de l’Europe. D’ailleurs seuls deux pays ont des finances publiques intrinsèquement problématiques: l’Italie – mais sa dette est détenue à 60% par des italiens – et la Grèce – mais son PIB est inférieur à celui des Hauts de Seine, ce ne devrait pas être un sujet.

Si on estime urgent de désendetter l’Europe, on devrait donc commencer par le secteur financier privé, et non par les États. Car c’est ce secteur qui est fragilisé par sa dette.

Cette nouvelle augmentation de l’endettement des banques privées à partir de 2010 ne s’est pas traduite par une reprise de l’investissement dans l’économie réelle.

Pourtant les banques peuvent créer des crédits pratiquement sans limites, puisqu’elles peuvent titriser les créances pour les vendre et ainsi les retirer de leur bilan ; de plus elles ne vérifient pas au moment de l’octroi d’un crédit, s’il est compatible avec leur réserve, c’est à dire s’il ne conduit pas à dépasser le ratio autorisé entre encours de crédits et réserves. Elles ne contrôlent le respect de ce ratio qu’a postériori, et elles peuvent si nécessaire compléter leur réserve auprès de la banque centrale, laquelle ne refuse jamais en pratique. De plus depuis 2009 le coût de ce refinancement est très faible.

Lorsqu’une banque refuse un prêt, c’est en réalité pour préserver ses profits, qui sont bien plus grands dans la spéculation que dans l’économie réelle. Les banques ne mettent donc pas cette capacité à prêter sans limite au service de l’économie réelle ; au contraire, cette capacité est utilisée pour alimenter les fonds dit « private equity », qui rachètent des sociétés non cotées en empruntant 95% du coût, les restructurent, et les revendent avec une forte plus-value.

Ainsi, contrairement à ce qu’on peut penser, ce sont les banques de second rang8 qui provoquent la création de monnaie et non les banques centrales : puisque celles-ci émettent de la monnaie à leur demande afin de constituer les réserves nécessaires à l’octroi de crédit.

En pratique la base monétaire des pays industrialisés a augmenté de 30% par an depuis 2008 de cette façon, sans que cela ne relance l’économie. On peut dire que les banques font tourner la planche à billet à plein régime. L’indépendance de la banque centrale était censée assurer une politique monétaire « sage »: l’explosion de la base monétaire montre que cette indépendance n’offre aucune garantie en la matière.

Par contre, selon la croyance commune, cette création monétaire débridée aurait dû engendrer ce qui est craint par dessus : une hyperinflation. Pourtant ce n’est pas le cas, ce qui montre que l’hyperinflation n’est pas une conséquence automatique de la création monétaire excessive. Par conséquent priver un État de la capacité de décider lui-même de sa masse monétaire, au motif qu’il céderait trop facilement à la tentation de la planche à billet au risque d’une hyperinflation, n’est pas une décision rationnelle.

D’ailleurs, l’exemple auquel on se réfère en la matière, c’est à dire l’hyperinflation allemande, ne résulte pas d’une émission monétaire décidée par l’Etat allemand. Elle est en fait le résultat d’une expérience de privatisation absolue de la monnaie. Les alliés avaient exigé que la Reichsbank soit sous contrôle privé, pour empêcher le financement d’un nouvel effort de guerre. La Reichsbank s’engagea à convertir en Reichsmark toute monnaie crée par les banques privées; fin 1923, environ la moitié de la monnaie circulant en Allemagne provenait de la création monétaire privée, et l’inflation était hors de contrôle : ce qui coûtait un reichsmark en 1914, en coûtait 36,7 en 1922, 2785 en janvier 1923… et 726 milliards en novembre 1923.

Le président de la Reichsbank H. Schacht y mit fin en une année seulement, en arrêtant la conversion automatique en Reichsmark, et en créant une nouvelle monnaie non convertible en devise étrangère mais convertible en Reichsmark. Ainsi, la période d’hyperinflation pris fin en 1924, et ce n’est pas à sa suite que fut élu le parti national socialiste, contrairement à la croyance commune ; il le fut en 1933, après trois années d’austérité budgétaire.

Malheureusement, cette décision irrationnelle de priver les États de la possibilité de se financer auprès de leur banque centrale a un coût. Si la France avait pu se financer auprès de la banque de France sans intérêt comme avant 1973, sa dette ne serait que de 30% du PIB. Et sans les suppressions d’impôts et les niches fiscales intervenus entre 2000 et 2008, qui ont conduit à renoncer à 70 milliards par an, son remboursement n’aurait pas présenté de difficulté.

A toutes ces fragilités du système s’ajoute la non séparation des banques de dépôts et des banques d’investissement, qui présente elle aussi des inconvénients majeurs : les banques ne jouent plus leur rôle de préteur aux entreprises, trouvant plus d’intérêt à spéculer ; elles prennent des risques qui les rendent dangereuses pour elles-mêmes mais aussi pour les États qui se trouvent dans l’obligation de les sauver ; de plus les États ne peuvent réellement connaître le niveau de ces risques ; en effet les banques commerciales et d’investissement sont obligées de mentir sur leurs éventuelles difficultés, pour éviter un bank run9 -de la même façon que les entreprises cotées ne peuvent dire la vérité sur leur difficultés sous peine de précipiter leur chute.

Concernant l’obligation supposée pour un État de sauver son système bancaire, il est utile de s’intéresser au contre-exemple que constitue l’Islande: lorsqu’en 2008, son système bancaire fait faillite, sa dette privée représente 7 fois le PIB du pays ; le président décide de soumettre à référendum les modalités de remboursement proposées par le gouvernement ; les islandais refusent de rembourser, quelles que soient les modalités ; une assemblée constituante est alors élue et dote le pays de nouvelles lois, dont notamment un encadrement strict du secteur bancaire10.

La transition écologique est la seule voie. Elle peut être financée par la création monétaire. La monnaie doit être considérée comme un bien commun et gérée comme telle. L’Europe devrait être réformée pour gérer de façon démocratique et confédérale les biens communs, tandis que les biens publics resteraient gérés par les États. Cette gestion doit se faire selon la logique de réciprocité. Elle suppose de réformer le système bancaire, mais aussi l’Euro.

La forte croissance11 des trente glorieuses résultait pour un tiers des gains de productivité et pour les deux tiers d’une énergie abondante et peu chère, dont la consommation accrue a permis une augmentation de la production de richesses. Or la consommation d’énergie ne peut plus augmenter, faute de ressources suffisantes. C’est pour cela que la croissance stagne désormais à 1% en moyenne, et cela ne pourra changer tant que nous resterons dans ce schéma -éco-énergétique.

Rien ne sert donc de sacrifier les jeunes grecs ou espagnols et les fonctionnaires, alors que le problème vient des banques et de la contrainte énergétique. La solution ne réside pas dans les politiques d’austérité : elle passe par l’abandon du modèle de croissance carbonée qui nous conduit au désastre et rendra la planète inhabitable.

La transition écologique est un impératif. C’est le projet collectif qui manque à nos sociétés financiarisées. Elle consiste en la conversion à un mode de vie sobre, au sein d’une économie décarbonée et d’institutions justes, soucieuses des plus pauvres.

Elle comporte trois chantiers prioritaires: la rénovation thermique, la mobilité et l’urbanisme, et la production d’énergie.

Elle nécessite la relocalisation de la production industrielle et le développement de la polyagriculture autour des centres urbains (pour limiter les émissions de CO2, mais aussi parce que la volatilité du prix du pétrole va entraîner une chute du commerce international).

Pour une vision plus précise et plus concrète des transformations à opérer, on peut se référer aux propositions du conseil national du débat sur la transition écologique 12 ou encore au projet de 3ème révolution industrielle des Hauts de France 13.

Le coût de la transition écologique n’est pas hors de portée : selon la fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, il s’élève à environ 3000 milliards d’euros sur 10 ans pour l’Europe, donc beaucoup moins que le coût du sauvetage des banques.

Deux sources de financements ont été jusqu’ici formellement envisagées. La première est le marché du carbone. Or les lobbys ont largement pesé sur la définition des règles de ce marché, qui ne fonctionne aucunement comme prévu à l’origine. Et même s’il était doté des règles ad hoc, et qu’on parvenait à empêcher la fraude, de toutes façons un marché ne donne pas le bon signal, on l’a vu. La deuxième est la taxe carbone. Or le coût en est trop lourd pour les ménages. Ainsi ne reste que la création monétaire.

La création monétaire par la puissance publique est parfaitement possible. En effet, depuis le début des années 70, la convertibilité-or de la monnaie a été abandonnée et la monnaie n’est plus gagée sur un actif. Le seul obstacle est politique, et il est dû à ce qu’une partie des élites européennes ne croit plus à la puissance transformatrice de l’État.

La transition pourrait se faire via des prêts14 de longue durée (10 ans au moins) consentis par la BCE à des taux bas (moins de 1%) et garantis par des « obligations de projet » finançant exclusivement des projets d’avenir liés à la transition.

Il faut en fait considérer la monnaie comme un bien commun, au sens proposé par Elinor Ostrom, et la gérer comme telle.

Elino Ostrom classe les biens en trois catégories : préivés, publics ou hybrides.

Les biens privés sont exclusifs (le détenteur ou le producteur peut en empêcher l’accès via le droit de propriété) et rivaux (leur usage par une personne en interdit la consommation par une autre). Les biens publics ne sont ni l’un ni l’autre.15 Un bien est public ou privé en raison de sa nature mais aussi par décision politique: par exemple l’école.

Les biens hybrides sont des biens exclusifs et non rivaux (autoroutes, spectacles…) ou bien rivaux mais non exclusifs (zone de pêche, système d’irrigation). Elinor Ostrom désigne ces biens hybrides comme ressources communes, et montre qu’ils relèvent d’un système de règles qui régissent les actions collectives, les modes d’existence et d’activité des collectivités.

Elinor Ostrom a effectué une analyse de cas concrets de gestion de biens communs sur de très longues périodes, et propose sur cette base les principes d’une gestion durable des ressources communes. Les individus concernés doivent participer régulièrement à la définition et à la modification des règles; leur droit à fixer et modifier ces règles doit être reconnus par la collectivité; un mode d’auto-contrôle doit être collectivement fixé, avec un système gradué de sanctions ; les membres de la communauté se répartissent les tâches liées aux fonctions de régulation, et toute modification doit être négociée dans la réciprocité.

John E. Roemer a montré que dans la quasi-totalité des ressources communes, cette logique de la réciprocité est plus efficace que celle de la poursuite de l’intérêt de chacun ; il définit l’équilibre kantien16  comme la situation où aucun intervenant n’aurait intérêt à modifier sa contribution au commun, si, alors qu’il dévie de sa position d’équilibre, tous les autres sont autorisés à faire de même dans les mêmes proportions.

Ainsi, la notion de bien commun permet de dépasser la partition public/privé, et de convenir de la meilleure façon de gérer chacun d’entre eux. Nous devrions donc déterminer quels sont nos biens communs, puis définir collectivement les modalités adaptées. Devraient notamment être considérés comme tels l’eau, l’énergie, le réseau ferré, un parc immobilier rénové (car les habitants futurs en bénéficieront), le crédit et la liquidité.

La distinction entre bien public et bien commun est d’ailleurs pertinente pour déterminer ce qui doit être géré au niveau européen, en respectant le principe de subsidiarité17 (que bafouent les traités actuels) : les biens publics (notamment la protection sociale) doivent rester du ressort de chaque État, et les biens communs doivent être gérés au niveau européen, par une Europe confédérale. Ce ne peut être la commission européenne, dépourvue de mandat démocratique qui en soit chargée ; celle-ci devrait être réduite à la fonction d’administration en charge de l’exécutif. Pour ce qui est de la monnaie, ce pourrait confié à une chambre budgétaire de la zone euro, rassemblant les députés des commissions des finances et des affaires sociales, des parlements nationaux et européen.

Le travail également devrait être considéré comme un bien commun. Pour cela il faut réviser le droit des entreprises et redéfinir l’entreprise comme communauté de projets. Les actionnaires sont propriétaires de la société comme personnalité juridique mais non de l’entreprise comme projet. La fonction première de l’entreprise doit être l’utilité sociale et non la maximisation des dividendes

Pour ce qui est du crédit et de la monnaie, les chantiers sont nombreux.

Il faut d’abord séparer les activités de marché et de crédit, comme l’avait fait Roosevelt en 1933, ce qui nous avait valu 60 années sans aucune crise bancaire, des années 30 aux années 90,. Il s’agit d’éviter que les premières ne mettent en danger la capacité des banques à accorder des crédits, c’est à dire entretenir la liquidité bancaire au service de l’économie réelle, c’est à dire encore empêcher la privatisation de la liquidité. Actuellement les banques surendettées ne peuvent faire face aux besoins des entreprises. Il s’agit également de sécuriser les dépôts des citoyens, lesquels d’ailleurs pourraient légitimement refuser que leur épargne finance les marchés. Avec une telle séparation, les dépôts financent exclusivement l’économie réelle.

La loi bancaire française de 2013, censée faire cette séparation, ne la fait pas ; elle oblige à transférer dans une filiale de la banque environ 1 % des activités de marché seulement ; et d’ailleurs la filialisation ne protège en rien la maison mère. Pire encore, cette loi a ordonné la fusion du fonds de garantie des dépôts (l’argent des français) avec le fonds de résolution bancaire ; cela a fait sauter le dernier verrou qui protégeait encore un peu (à hauteur de 100k€) les dépôts des français.

Par ailleurs, la taxe sur le risque systémique instaurée en 2011 est dérisoire, il faut la multiplier par 20. Certes cela fera chuter le rendement des actions bancaire. Mais il est de 8 ou 9 % par an, dans une économie où le taux de croissance est de 0,8 % (et il était de 15 % dans la décennie 2000) : c’est un non-sens. Avec un tel niveau de taxe, les banques vont réduire leur taille pour y échapper, et elles ne risqueront plus d’entraîner les États dans leur chute : ceux-ci ne seront plus obligés de les recapitaliser.

De plus les banques devraient renforcer leurs fonds propres sur une dizaine d’années pour atteindre 20 à 30 % de leur actif, comme au début du XXème siècle.

De façon générale, le secteur bancaire doit être davantage réglementé, et placé sous le contrôle d’une BCE replacée sous le contrôle démocratique, dont le président serait nommé par la chambre européenne économique, et dont le mandat serait de financer la transition écologique et l’emploi – et non de lutter contre l’inflation.

Il faut revenir au monopole public de la création de la monnaie en obligeant les établissements financiers à détenir auprès des banques centrales des réserves égales à 100 % de leurs compte courants (au lieu de 1 % actuellement)18 ; ainsi serait séparé le métier de prêteur et celui de créateur de monnaie ; cela permettrait à la banque centrale de contrôler la masse monétaire en circulation, et d’avoir réellement une politique monétaire contracyclique19.

La monnaie créée par la banque centrale le serait pour financer la transition, en créditant directement les comptes des trésors publics.

L’euro doit également être réformé. En effet il présente trois faiblesses majeures.

Les différentiels d’inflation résultant des politiques salariales20 ne sont plus compensés, comme ils pouvaient l’être avec les monnaies nationales. Les taux d’intérêt réels21 varient beaucoup selon les pays, ce qui génère un différentiel d’attractivité pour les capitaux, d’où des différences dans le maintien d’une industrie. Enfin, il est surévalué.

Il faut transformer l’euro en monnaie commune : les échanges hors zones seraient en euros, les monnaies nationales seraient convertibles entre elles au sein de la BCE, via des parités fixées, négociées et révisées annuellement. Le passage en monnaie nationale de la dette publique entraînera de facto une restructuration de la dette, celle-ci étant d’autant plus diminuée que la valeur de la monnaie nationale sera faible.

A la violence légale générée par les transactions financières et une monnaie unique plaquée sur des économies trop différentes, doit être substituée une parole échangée démocratiquement, dans le respect mutuel et la confiance, via la réciprocité. Car « il est temps que l’autorité publique cesse de ruser avec les citoyens »22

N’attendons pas que les professionnels de la finance et les politiques, qui pour beaucoup ont démissionné de leur responsabilité vis à vis de la sphère financière, lâchent le veau d’or : tant que des rendements de 15 % seront promis dans les transactions financières, jamais l’épargne ne sera investie dans l’investissement à long terme.

C’est aux citoyens d’exiger.

S.F.G.

1Ndlr : au sens de produit de placement financier, et non de rendement financier

2Crise des prêts hypothécaires à risque survenue en 2007 aux États Unis

3 C’est ce qui est arrivé à l’entreprise CIT, que sa banque, Goldman Sachs a laissé sombrer pour cette raison.

4Ndlr : AIG, la société d’assurance concernée, a été de ce fait au bord de la faillite, et l’État fédéral a du intervenir, en injectant plus de 180 milliards de dollars à son capital

5 président du conseil de la Réserve fédérale des États-Unis de 1987 à 2006

6du nom de la parabole selon laquelle si un matin un trader entend à la radio que l’euro va chuter en raison de l’apparition de taches solaires sur le soleil, il sait que c’est idiot, mais il va vendre quand même parce qu’il pense que les autres vont vendre; et à cause de cette vente l’euro va effectivement chuter

7PIB : produit intérieur brut – le PIB est la valeur totale de la « production de richesse » annuelle effectuée par les agents économiques (ménages, entreprises, administrations publiques) résidant à l’intérieur d’un territoire

8 institution qui, sous l’égide de la banque centrale, assure la gestion de l’épargne et des moyens de paiement, la création de monnaie scripturale et l’octroi de crédit (wikipédia).

9 mouvement de panique qui conduit tous les déposants à retirer leur fonds en même temps

10 ndlr: les résultats de cette option ont été probants : https://www.france24.com/fr/20180824-billet-retour-islande-egalite-sexes-miracle-economique-modele-europe )

11Ndlr : la hausse moyenne du PIB a été de 5 % en moyenne en France sur la période

12Pour en savoir plus : https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/cnte

13Pour en savoir plus : https://rev3.fr/actualites/

14Rappelons qu’octroyer un prêt revient à créer de la monnaie

15Exemple de bien non exclusif: l’oxygène de l’air; exemple de bien non rival:l’éclairage public

16 Kant : « agis comme si la maxime de ton action devait par sa volonté être érigée en loi universelle »

17 Le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème. C’est un des principes du droit communautaire.

18C’est le principe de la monnaie SMART (système monétaire à réserve totale) proposée par des économistes en 1933 

19  Se dit d’une politique budgétaire qui suit une tendance inverse à celle des cycles de croissance

20Les hausses de salaires génèrent de l’inflation ; des politiques salariales différentes génèrennt donc des niveaux d’inflation différents

21 Taux nominaux moins inflation

22Jean-Michel Naudot, ancien membre du collège de l’Autorité des marchés financiers

2 commentaires sur « Illusion financière de Gaël Giraud Synthèse »

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