Effondrement, de Jared Diamond

Publié le 11 mai 2023

Jared Diamond est biologiste, physiologiste, professeur de géographie et historien de l’environnement. Il a publié plusieurs ouvrages populaires de vulgarisation scientifique, dont Le troisième chimpanzé en 1991, De l’inégalité entre les sociétés en 1998, et Effondrement – Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie- en 2005.

Deux facteurs principaux expliquent le succès d’Effondrement : Jared Diamond transforme en véritable récit d’aventure l’histoire des sociétés, et il sait rendre passionnantes la multitude d’explications scientifiques qu’il fournit.

Depuis la parution de cet ouvrage, plusieurs auteurs ont remis en cause certaines de ses thèses, en particulier dans le livre collectif Questioning collapse. Une part de ces critiques sont basées sur des travaux archéologiques qui contredisent parfois ses théories. D’autres découlent d’une lecture qui me paraît erronée.

La responsabilité en revient pour partie à Diamond lui-même. En effet, si ce dernier a pris soin de donner sa définition de l’effondrement, il ne l’a pas fait pour le concept de société. La définition classique est : un « groupe d’individus unifié par un réseau de relations, de traditions et d’institutions »1 . Or on comprend, à la lecture d’Effondrement, que Diamond y ajoute une caractéristique essentielle : c’est que ce groupe est implanté dans un espace géographique donné. Cette précision s’inscrit logiquement dans son étude de la relation entre un groupe humain et l’environnement dans lequel il tente de prospérer, et dans son analyse des raisons pour lesquelles, parfois, il a fini par échouer. Mais elle aurait mérité d’être explicitée. Cela aurait évité les critiques affirmant qu’une société, par exemple les Vikings du Groendland, ne se s’est pas effondrée puisque le peuple concerné a continué de prospérer ailleurs.

In fine, une fois les critiques fondées prises en compte, ce livre reste un apport considérable pour la compréhension du comportement et du devenir de sociétés confrontées à une dégradation majeure de leur environnement.

Cet article résume chaque chapitre d’Effondrement en rappelant les principales critiques. Il tente à chaque fois de faire la part des choses et de dégager les principaux enseignements qu’on peut retenir.

Prologue

Jared Diamond explique avoir écrit cet ouvrage pour alerter sur le risque d’effondrement que court notre société en raison de la dégradation de l’environnement qu’elle provoque.

Dans un premier temps, afin d’illustrer la gravité de la situation, il récapitule les dommages environnementaux subis par l’État américain pourtant le moins dégradé et qu’il connaît bien : le Montana.

Ensuite, il analyse comment certaines sociétés anciennes se sont effondrées dans un contexte similaire de dégradations environnementales, et comment d’autres ont su prendre les mesures nécessaires pour perdurer. Car, pour lui, un tel effondrement n’est pas inéluctable, si l’on sait tirer des enseignements des expériences passées.

Puis il fait le point de la situation environnementale de plusieurs sociétés contemporaines.

Enfin, il examine les raisons pour lesquelles les sociétés peuvent prendre des décisions catastrophiques, ainsi que celles pour lesquelles les grandes entreprises tiennent compte ou non des conséquences environnementales de leurs actions.

Certaines présentations d’Effondrement indiquent que, pour Diamond, tous les effondrements de sociétés ont la dégradation de l’environnement pour cause première. Il précise pourtant que d’autres mécanismes d’effondrement peuvent se produire, comme dans le cas de l’URSS, et que c’est son objectif qui l’a conduit à n’étudier que des effondrements sur fond d’écocide.

Jared Diamond donne au concept d’effondrement la définition suivante: « une réduction drastique de la population humaine et/ou de la complexité2 politique/économique/sociale, sur une étendue et une durée importante ». C’est une forme extrême, nous dit-il, de plusieurs types de déclins moindres, et le seuil à partir duquel on parle d’effondrement est nécessairement arbitraire.

Il existe d’autres définitions du concept d’effondrement sociétal, mais ce n’est qu’à l’aune de la sienne propre que l’un peut juger de ses conclusions. En particulier, pour lui, une société a pu s’effondrer sans que le peuple qui la constituait n’ait disparu. Ceux qui dénient ses conclusions sur l’effondrement d’une société au motif qu’une partie de la population a survécu, ont en fait une définition différente et plus radicale de l’effondrement.

Jared Diamond constate que l’effondrement n’est jamais dû aux seuls dommages environnementaux. Un ou plusieurs autres facteurs interviennent. Ce peut être un changement climatique, des voisins hostiles, ou des partenaires commerciaux qui font défaut (voire se transforment en voisins hostiles). Dans tous les cas, un dernier facteur s’avère décisif : la réponse apportée par la société à ses problèmes environnementaux.

Parce qu’il affirme que certains peuples anciens ont détruit leur environnement, il est parfois accusé d’attitude méprisante à leur égard. Il s’en défend : pour lui les peuples anciens ne sont pas différents de ceux d’aujourd’hui, et gérer les ressources naturelles de façon durable a toujours été difficile. Il souligne d’ailleurs que ces peuples n’avaient pas, le plus souvent, les moyens de savoir l’ampleur des dégâts qu’ils causaient, contrairement à nous. Rappelons également qu’il propose de s’inspirer de ceux des peuples anciens qui ont su préserver leur environnement, et qu’il a d’ailleurs consacré un livre à ce que le monde occidental peut apprendre des sociétés traditionnelles : Le Monde jusqu’à hier, paru en 2012.

Le Montana

Le Montana se nomme lui-même « l’État au ciel immense ». C’est un des États américains les plus vastes et les moins densément peuplés, et l’un des plus beaux.

Ce fut aussi l’un des plus riches, jusque dans les années 1980, grâce à aux exploitations minières3 et forestières, et à l’agriculture. C’est désormais un des plus pauvres, malgré l’arrivée de nouveaux habitants riches, attirés par la beauté des paysages et venant pour chasser, pêcher, faire du cheval, jouer au golf…

Le Montana est affecté par de multiples problèmes environnementaux.

Les rejets toxiques des 20 000 mines abandonnées menacent certaines rivières et réserves d’eau, dont celle de Missoula, deuxième ville de l’État.

Les forêts sont menacées par des incendies impossibles à éteindre, à cause des sécheresses dues au réchauffement climatique, des déchets inflammables laissés par l’exploitation forestière, et d’un entretien insuffisant faute de financements.

Les pratiques agricoles ont détruit la fertilité des sols : la monoculture de pomme a épuisé l’azote, le surpâturage les a érodés, le défrichement et l’irrigation ont provoqué leur salinisation.

La ressource en eau, en baisse, ne peut plus satisfaire des besoins qui s’accroissent avec la population. Dans cette région sèche, elle dépend des glaciers et de la neige, que le changement climatique anéantit. Il ne reste que 35 glaciers sur les 150 qui existaient à la fin du 19e siècle, et tous auront disparu en 2030. Les droits d’irrigation n’ont pas été adaptés à ce déficit, et désormais des tronçons de rivières peuvent être à sec en été. Faute d’évaluation de la quantité d’eau disponible, des permis de construire continuent d’être attribués sans savoir si elle sera suffisante.

Les cours d’eau sont endommagés par les feux de forêts, le moindre niveau d’eau, les fertilisants, les produits toxiques, les sédiments apportés par l’érosion.

De précieuses espèces indigènes disparaissent : poissons, cerfs et élans.

A l’inverse une trentaine d’espèces nuisibles, importées accidentellement ou intentionnellement, prolifèrent ; non comestibles pour les animaux, voire toxiques, elles coûtent cher et font baisser la productivité agricole.

Pour Diamond, la difficulté du Montana à gérer ces problèmes serait due à l’absence de vision commune des habitants quant à leur environnement et à l’avenir de leur État. Les anciens habitants resteraient attachés à la liberté de chacun de disposer de sa terre, et ils seraient méfiants à l’égard des règlements imposés par le niveau fédéral.

Quoiqu’il en soit, la situation du Montana s’est notablement aggravée depuis la parution d’Effondrement. Des incendies géants le frappe désormais chaque année, ravageant des dizaines de milliers d’hectares de forêts.

Les sociétés du passé qui s’effondrèrent

L’île de Pâques

Le récit de l’effondrement de la société de l’île de Pâques par Jared Diamond est sans doute le plus connu – et le plus controversé.

Lorsque vers 900 ap. JC des polynésiens y débarquent et s’y installent, l’île est couverte d’une forêt luxuriante, composée notamment de palmiers géants. Lorsque les européens découvrent l’île en 1722, le paysage est bien différent. Ils trouvent une vaste savane et d’immenses statues renversées.

Dans l’intervalle, l’île a subi une déforestation totale. C’est le résultat d’un abattage excessif combiné à l’appétence pour les noix de palmiers des rats arrivés avec les polynésiens. Ce processus s’est étendu sur quatre siècles, les arbres devenant progressivement plus rares et plus petits, et les habitants n’en ont pas eu conscience.

Parallèlement, le mode de vie des Pascuans a notablement changé.

A l’origine, ils se nourrissaient non seulement de leur agriculture, mais aussi de fruits sauvages, d’oiseaux de terre et de mer, de marsouins et de poissons de haute mer. La disparition de la forêt s’accompagna de celle des fruits sauvages et des oiseaux, ainsi que de l’impossibilité de pêcher en haute mer, faute de pirogue adaptée. Leur alimentation se résuma alors à ce que pouvait leur procurer l’agriculture et l’élevage de poulets. Ils développèrent une technique ingénieuse pour pallier le manque d’eau aggravé par la déforestation : le mulch lithique. Ils apportèrent et répandirent dans les champs des morceaux de basaltes, avec un triple bénéfice : capter la rosée matinale, limiter l’érosion et réduire les écarts de températures du sol entre le jour et la nuit.

Leurs pratiques religieuses et funéraires évoluèrent également. Ils abandonnèrent la crémation pour l’ensevelissement. Ils renoncèrent au culte des ancêtres et n’érigèrent plus de moaïs, et ils se tournèrent vers le culte du dieu Make-make, chargé de désigner lors d’un rituel annuel l’« homme-oiseau » : un représentant de chaque clan se rendait sur un îlot où nidifiaient encore les oiseaux de mer, chacun se postait à côté de l’un des nids, et la première éclosion désignait celui qui serait l’arbitre des conflits entre clans pour un an.

L’arrivée des européens fut dévastatrice pour les Pascuans: les épidémies de variole les décimèrent et les esclavagistes firent le reste. En 1872, ils n’étaient plus qu’une centaine.

Les faits ci-dessus, rapportés par Diamond, font consensus. Il y a par contre un désaccord sur la manière dont la société pascuane changea.

Pour Diamond, la déforestation et ses conséquences générèrent famines, conflits, et cannibalisme ; la population s’effondra, passant de 10 000 voire 15 000 habitants à 2 000 environ. Ce serait à l’occasion des guerres entre clans que les moaïs furent renversés. L’élévation de ces statues géantes auraient joué un rôle important dans la déforestation, leur transport nécessitant nombres de rondins de bois. La volonté des chefs de clan d’affirmer leur pouvoir avec des statues de plus en plus hautes serait donc en partie responsable du désastre.

Diamond s’appuyait sur des récits traditionnels qui relataient ces combats. Cependant les recherches archéologiques ne semblent pas en avoir trouvé de traces. Par ailleurs, il est maintenant établi que les moaïs étaient déplacées debout, en les faisant « marcher » à l’aide de cordes, et qu’elles furent non pas jetées à terre mais déposées avec soin. Enfin, la population maximale atteinte sur l’île de Pâques n’a pu être établie avec certitude.

Les anthropologues Terry L. Hunt et Carl P. Lipo en déduisent, dans Questioning Collapse, que la société de l’île de Pâques s’est simplement adaptée et non pas effondrée – du moins jusqu’à l’arrivée des européens.

On peut tout de même retenir que la déforestation a rendu nettement plus difficiles les conditions de vie des Pascuans. En effet, si le mulch lithique est une solution ingénieuse, il demande beaucoup de travail. De plus la disparition du bois de chauffage a certainement diminué le niveau de confort.

S’il n’est pas possible d’affirmer qu’il y a un lien entre ces évolutions et la modification des pratiques sociales et religieuses, je crois que la nature de certaines de ces modifications conduit à le penser : le renoncement à la crémation consommatrice de bois ; la dépose des moïas protecteurs, qui, peut-être, n’avaient pas assuré leur mission ; l’importance symbolique donnée aux oiseaux de mer, dernière espèce sauvage.

Avec ou sans crise, la société pascuane a profondément changé sous l’effet de la déforestation, et ses conditions de vie sont devenues plus difficile.

Les îles de Pitcairn et d’Henderson

A 2 600 km de l’île de Pâques, l’île Mangareva, la principale de l’archipel Gambier, a connu des difficultés similaires.

Cette île hospitalière, dotée d’un vaste et riche lagon regorgeait de nombreuses ressources, notamment de grandes huîtres perlières à lèvres noires. Habitée à partir de l’an 800, elle a compté plusieurs milliers d’insulaires.

Ceux-ci pratiquaient des échanges commerciaux avec d’autres îles, en particulier les petites îles Pitcairn et Henderson. Ces dernières étaient bien moins hospitalières mais la première était riche d’un basalte approprié à la fabrication de hachettes, et la seconde d’une nombreuse population d’oiseaux, de coquillages et de tortues de mer. Leurs habitants pouvaient échanger ces ressources contre de la nourriture.

Comme l’île de Pâques, Mangareva fut progressivement déforestée par ses habitants. L’érosion réduisit la productivité des jardins dont ils avaient couvert l’île. Les radeaux remplacèrent les pirogues, ce qui mit fin aux voyages en haute mer. Selon Diamond, là encore d’après les récits des insulaires, il s’ensuivit famines, guerres civiles et cannibalisme. Il est en tout cas avéré que les échanges avec les autres îles cessèrent vers 1500.

La fin de leur commerce avec Mangareva provoqua le déclin de Pitcairn et de Henderson. Ces populations survécurent un temps, en aggravant nécessairement leur pression sur leur environnement, puis s’éteignirent.

Le destin de ces deux îles est caractéristique d’un effondrement lié à des partenaires commerciaux qui font défaut. Diamond veut, par cet exemple, nous faire réfléchir sur notre dépendance de ressources provenant de pays fragiles écologiquement – comme les pays producteurs de pétrole.

Les indiens Anasazis

Les civilisations précolombiennes du sud-ouest des États Unis étaient constituées de peuples comprenant quelques milliers d’individus. Ceux-ci surent s’adapter à un environnement aride et parvinrent à y vivre durant près d’un millier d’années, en bien plus grand nombre que les habitants actuels.

Ils développèrent l’agriculture grâce à trois méthodes : en recueillant les eaux de ruissellement dans des canaux et des rigoles, ou bien en s’installant en altitude pour bénéficier d’une meilleure pluviométrie ou dans des canyons où la nappe phréatique était suffisamment proche du sol..

Ils bâtirent des villages dans les sites propices à l’agriculture. Le site le plus développé était Chacos Canyon. On y trouve les habitations les plus vastes et les plus hautes – jusqu’à 5 ou 6 étages. De larges routes le reliaient à d’autres villages. L’ensemble formait un petit empire, avec une structure sociale complexe et des échanges importants.

Chacos Canyon, centre économique et religieux, se développa fortement. Cela se fit au détriment des forêts les plus proches, et il fallut aller chercher le bois de plus en plus loin. L’eau et donc la production agricole devinrent insuffisantes. Le site devint dépendant des autres villages pour son approvisionnement. Lorsque survint une période de sécheresse particulièrement dure, cet apport cessa. Le site fut alors abandonné, comme en témoignent les vestiges des habitations, vides de tout objet.

Pour Diamond, l’organisation en mini-empire permit que la population se développe sur ce site bien au-delà des possibilités normalement offertes par ses ressources. Si Chacos Canyon n’avait pas eu de villages satellites pour l’approvisionner, sa population serait restée moindre et peut-être aurait-elle pu supporter cette nouvelle sécheresse.

Pour lui, l’organisation en villages indépendants qui prévalait dans le reste de la région était plus adapté au type d’environnement ; ces villages ont prospéré durant un millier d’années, et la société Chacos environ 600 ans – ce qui, souligne-t-il, était déjà remarquable au regard du climat.

Pour autant il indique également que cette civilisation dans son ensemble a connu des effondrements locaux : bien d’autres sites, qui étaient des villages non regroupés en empire, furent abandonnés pour être reconstruits ailleurs.

Dans Questioning Collapse, Michael Wilcox, archéologue descendant d’ancêtres amérindiens, s’insurge contre la version de Diamond. Il souligne le rôle joué par les Européens dans les difficultés rencontrées par son peuple et rappelle que Chacos Canyon est toujours habité.

Toutefois, la plupart des éléments qu’il juge omis dans Effondrement y figurent bien. Et si le site est effectivement habité aujourd’hui, il est établi que Chacos Canyon a été abandonné par ses habitants vers 1250. Ce n’est que six siècles plus tard que le site fut de nouveau habité par des bergers navajos.

La civilisation Anasazi a disparu, mais son peuple a survécu en allant s’établir ailleurs. Une option qui n’existe plus sur une terre presque entièrement habitée.

Les Mayas

La civilisation Maya est la civilisation américaine autochtone la plus avancée, et la seule à disposer d’écrits qui ont pu être déchiffrés. Son histoire est donc plus facile à retracer. En outre, on dispose de fouilles plus nombreuses et les langues mayas sont encore parlées par certains descendants.

La civilisation maya connut trois périodes : préclassique de – 1000 av. JC à 250 ap. JC, classique de 250 à 900 et postclassique de 900 à 1521.

La période classique est caractérisée par ces constructions monumentales qui furent abandonnées puis englouties par la forêt, et qui peuplent notre imaginaire à l’instar des pyramides d’Égypte ou des statues de l’île de Pâques. C’est à l’effondrement de cette société composées de cités-état, dirigées par des rois divins, que s’intéresse Diamond.

Contrairement aux exemples précédents, les Mayas bénéficiaient d’un environnement peu fragile, où la végétation poussait facilement. Mais ils connaissaient la même difficulté : des pluies imprévisibles.

La base de leur nourriture était le maïs ; ils cultivaient divers légumes et élevaient des dindons, des canards et des abeilles ; pour pallier les périodes de sécheresse, ils creusaient de vastes réservoirs.

La construction des cités nécessitait beaucoup de bois, notamment pour fabriquer le plâtre dont étaient couverts les murs – l’épaisseur de stuc étant un signe de richesse. La déforestation qui en résultait, comme toujours, aggravait les sécheresses et favorisait l’érosion.

Vers les années 800 survint une période de sécheresse pire que toutes celles connues auparavant, avec plusieurs pics auxquels correspondit l’abandon de diverses cités dans le sud du territoire.

Entre 800 et 900 la population diminua drastiquement, sur fond de guerres entre cités. Le système politique basée sur la royauté divine s’effondra et les constructions cessèrent. La civilisation maya se maintint cependant dans le nord, mais avec de profonds changements, notamment en termes d’organisation politique.

De l’aveu même de Diamond, les archéologues ne s’accordent pas sur les causes de l’effondrement de la société classique maya. De son point de vue, cinq facteurs ont joué: la croissance démographique, trop importante pour les ressources disponibles; la déforestation et l’érosion des collines; l’augmentation de la fréquence des combats entre cités; une sécheresse particulièrement grave; des dirigeants qui ne sont pas parvenus à identifier et résoudre ces problèmes qui ruinaient leur société.

Dans Questioning collapse, les anthropologues Patricia A. McAnany et Tomás Gallareta Negrón discutent l’influence qu’ont pu avoir ces différents facteurs sans les nier (hormis l’augmentation des guerres). Ils estiment qu’on ne peut blâmer les agriculteurs mayas, lesquels ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour prévenir la dégradation des terres et favoriser la rétention d’eau. C’est aussi ce que Diamond décrit ; simplement, pour lui, ces mesures n’ont pu suffire quand la sécheresse s’est aggravée. Ils jugent malvenu d’accuser les rois divins d’inconséquence, et de les comparer comme le fait Diamond aux dirigeants d’aujourd’hui. En effet, ces derniers ont des informations que les premiers n’avaient pas. Surtout, ils réfutent les qualifications d’échec et d’effondrement. Pour eux cette civilisation s’est simplement adaptée à un monde qui changeait.

Il me semble que le terme d’adaptation est un peu faible pour une société obligée d’abandonner de telles cités. En tout cas les Mayas n’ont pu se maintenir là où ils s’étaient établis et avaient tant investi, et il s’agit bien d’un effondrement sociétal du moins tel que le définit Diamond. Quant aux rois divins, il serait effectivement vain et injuste de les blâmer. Mais je note que les Mayas ont jugé bon de modifier leur système politique : par la suite les rois ne gouvernèrent plus seuls, mais accompagnés d’ordres militaires et de différents corps sociaux. Il semble qu’ils aient eu la sagesse de réaliser qu’il n’est guère prudent de faire reposer la responsabilité du destin d’un peuple sur un homme seul.

Les Vikings d’Islande et du Groenland

Les Vikings, experts en architecture navale, se lancèrent du VIIIe au XIe siècle dans de multiples expéditions, pour commercer d’abord, puis pour piller ou coloniser des terres de plus en plus lointaines.

En cette période de climat doux, où l’Atlantique n’était pas pris par les glaces, des navires égarés partis de Norvège découvrirent les îles Féroé en l’an 800, l’Islande en 870, le Groenland en 980 et le Vintland en l’an 1000.

L’Islande offrait un paysage semblable à la Norvège, ce qui se révéla trompeur. Les sols, composés de cendre et maintenus par une végétation croissant lentement, étaient bien plus fragiles et ne se renouvelaient que lentement. Les Vikings les épuisèrent en quelques décennies, sans en avoir conscience. La forêt qui couvrait le quart de l’île disparut à 80 %, et la moitié des sols fut emporté par le vent dans l’océan.

Lorsque le climat se refroidit à la fin du moyen âge, les Islandais durent abandonner l’agriculture, et se contenter de l’élevage de moutons complété par la chasse et la pêche. Les éruptions volcaniques contaminaient régulièrement le fourrage, provoquant des famines. Le surpâturage aggravait d’année en année l’érosion des sols.

Les fermiers finirent par prendre conscience du problème et organisèrent une gestion en commun des pâturages. Ils parvinrent à un certain équilibre : ils étaient pauvres mais du moins survivaient-ils.

Aujourd’hui seul 1% du territoire islandais est boisé, et c’est l’État le plus endommagé d’Europe. Mais ce n’est plus le plus pauvre, bien au contraire, grâce aux énergies géothermique et hydraulique, ainsi qu’à une richesse piscicole qu’il peut exploiter depuis que les bateaux ne sont plus en bois. Il s’attelle désormais à reboiser et à retenir les terres.

Les Vikings qui débarquèrent au Groenland trouvèrent pour l’essentiel une étendue de glace, mais aussi quelques terres luxuriantes au fond des fjords. Là, ils s’établirent avec leur propre mode de vie. Pendant presque cinq siècles, ils y érigèrent une cathédrale et des églises4 ; ils écrivirent des textes en latin et en vieux norois, fabriquèrent des outils métalliques, élevèrent des animaux, chassèrent et pêchèrent, s’habillèrent à la dernière mode européenne. Puis ils disparurent. Les explorateurs anglais qui débarquèrent dans les années 1580 ne trouvèrent que les Inuits.

Le changement climatique joua un rôle décisif, cela fait consensus. En effet « l’optimum climatique du moyen âge« , qui adoucit le climat des régions de l’atlantique nord, prit fin au XIVe siècle et le petit âge de glace lui succéda. Cela aggrava leur difficulté à produire du fourrage. Une étude récente montre que cela s’accompagna de plus d’une forte montée des eaux.

Pour Diamond, une autre cause est que leur mode de vie était mal adapté à cet environnement, et qu’il n’en changèrent jamais.

Faute d’arbres, ils se tournèrent vers la tourbe pour le chauffage et la construction, et son prélèvement détériora fortement leurs terres. Leur précarité était grande et les aléas nombreux. Chaque année, ils devaient parier sur la quantité de fourrage qu’ils pourraient produire, et donc le nombre de bêtes qu’ils pouvaient se permettre de conserver pour l’hiver. L’arrivée des phoques en mai, au moment où s’épuisaient les réserves de laitages, de fromages et de viande de caribou séchée, était décisive.

Diamond juge que leur culte leur coûta beaucoup de peine et de temps : pour la construction des églises bien sûr, mais aussi pour se procurer les défenses de narvals, les peaux d’ours et les faucons qui leur permettaient de payer la dîme et d’acheter les objets de cultes et les cloches de bronze.

Au contraire des Vikings, les Inuits survécurent au petit âge de glace. Ils étaient à l’apogée de centaines d’années d’évolution culturelle dans l’arctique et maîtrisaient leur environnement. Ils utilisaient la graisse de baleine pour se chauffer et s’éclairer ; ils pouvaient pêcher grâce à leurs kayaks en peau de phoque ; surtout, ils savaient chasser le phoque annelé, qui passe l’hiver sous la glace au lieu de migrer, et ainsi disposaient d’une source de nourriture certaine durant l’hiver.

Diamond regrette que les Vikings n’aient rien appris des Inuits, au contraire des Danois : ceux-ci adoptèrent leurs techniques dès qu’ils commencèrent à coloniser le Groenland, en 1721. Pour lui, les contacts entre Vikings et Inuits furent de plus en plus hostiles mais restèrent rares, et ce furent surtout la faim et le froid qui annihilèrent la population.

Dans Questioning collapse, l’archéologue suédois Joël Berglund dit au contraire que, selon l’avis général des chercheurs, les Vikings partirent sous la pression des Inuits, sans toutefois que l’on sache vraiment ni comment ni où. Par ailleurs, selon lui, les Vikings du Groenland ne se sont pas montrés aussi rigides que l’affirme Diamond, et ils ont adapté leur mode de vie autant que le leur permettait leur culture.

Les Inuits ont sans doute joué le rôle de « voisins hostiles » dans la disparition des Vikings du Groenland. Cela n’enlève rien à la limite d’adaptation qu’a constitué leur culture. Pour autant, Diamond lui-même aurait peut-être jugé que, si les Vikings avaient renoncé à leur culte et adopté le mode de vie inuit, leur société n’aurait plus été la même.

Quoiqu’il en soit, ces exemples montrent qu’une culture peut n’être pas adaptée à certains environnements. Parfois, comme en Islande, de simples ajustements peuvent lui permettre de fonder malgré tout une société pérenne. Mais dans d’autres cas, un changement en profondeur des modes de vie serait nécessaire, au point de contrevenir aux valeurs de cette société. Cela, les Vikings du Groenland nous montrent que c’est extrêmement difficile.

Leur destin nous alerte aussi sur le fait qu’un changement climatique peut effectivement mettre fin à une société dont l’environnement est déjà fragilisé. Le petit âge de glace correspond à un refroidissement inférieur à un degré, et cela a suffi à réduire nettement la production agricole, à provoquer de nombreuses famines dans le monde, et à mettre fin à la société des Vikings au Groenland.

La hausse de un degré que nous connaissons actuellement a d’ores et déjà produit des effets similaires : la productivité agricole baisse, et le nombre de personnes en insécurité alimentaire est reparti à la hausse depuis 20175. La perspective d’un autre degré supplémentaire est effrayante.

Les sociétés du passé qui assurèrent leur pérennité

Diamond souligne que le cataclysme écologique n’est jamais inéluctable : l’Islande, qui vit depuis plus de onze cents ans dans un environnement difficile, ainsi que de nombreuses autres sociétés qui se maintiennent depuis des milliers d’années, en font la démonstration.

Il propose d’examiner trois sociétés qui, confrontées à une dégradation de leur environnement, surent prendre des dispositions pour y remédier : la Nouvelle-Guinée, l’île de Tikopia dans l’océan Pacifique, et le Japon de l’ère Tokugawa.

Nouvelle-Guinée

Cette île est peuplée depuis 46 000 ans, et l’agriculture s’y est développée depuis 7 000 ans. Les habitants cultivent le taro, la banane, la canne à sucre, et la patate douce; ils élèvent des poulets et des porcs.

Ils ont été jugés primitifs, car ils n’utilisaient que le bois ou la pierre, alors qu’ils ont su concevoir une agriculture sophistiquée. Celle-ci, adaptée aux fortes pluies et aux risques de glissement de terrain, comporte tout un ensemble de techniques: drainage vertical, compost, rotation des cultures, terrasses…

Le développement de l’agriculture s’accompagna d’un déboisement massif, avec toutes les conséquences que cela implique. Face à cela, les Néo-Guinéens se lancèrent, il y a 1 200 ans, dans la sylviculture, en particulier la culture du casuarina (bois de fer). Cela leur permit à la fois de se procurer du bois et d’améliorer la terre.

Pour Diamond, cette décision résulta d’un consensus et fut permise par la culture particulière de cette société. En Nouvelle-Guinée, il n’y a pas à proprement parler de chefs, tous vivent exactement dans les mêmes conditions et subissent les problèmes de la même façon, et les gens sont particulièrement curieux et inventifs.

Aujourd’hui, la Nouvelle-Guinée abrite une biodiversité extrêmement riche et fait partie des pays mégadivers.

Tikopia

C’est une île de petites dimensions, ne comportant pas plus de 4,5 km2 de terres arables, où vivent 1 000 à 2 000 Polynésiens. Très isolée, elle était condamnée à l’autarcie. Les rares importations étaient de la roche pour les outils, ou des produits de luxe tels que des coquillages décoratifs.

Arrivés vers 900 av. JC, les Polynésiens déboisèrent pour pratiquer la culture sur brûlis et éradiquèrent rapidement la faune. Ils plantèrent des vergers et élevèrent des porcs. Or, il s’avéra que les porcs ravageaient les jardins et nécessitaient beaucoup de nourriture. Aussi, les Tikopiens prirent-ils la décision collective de tuer tous les porcs vers 1 600 ap JC .

Ils prirent d’autres mesures pour garantir la durabilité de leur société, notamment la limitation de la pêche, qui ne peut être pratiquée que sur autorisation, et la régulation de la population.

Ainsi réussissent-ils à vivre depuis 3 000 ans, avec une agriculture adaptée à une pluviométrie importante mais peu prévisible : ils cultivent des vergers-jardins à plusieurs étages, et des champs de taro, d’igname ou de manioc avec beaucoup de paillage.

Ils sont pourtant aujourd’hui menacés par les conséquences du réchauffement climatique, ce qui a motivé le premier déplacement dans le monde occidental d’un roi polynésien. Le roi Ti Namo est venu en 2018 à Grenoble, pour présenter le film Nous Tikopia et alerter sur la multiplication des cyclones. Ceux-ci frappent désormais leur île non plus tous les dix ans mais tous les deux ans.

Le Japon de l’ère Togukawa

De 1185 à 1868, le Japon fut administré par un gouvernement extérieur à la cour impériale, dirigé par un shogun, dont le titre était héréditaire. Le dernier shogunat fut celui de la famille Togukawa et il débuta en 1603. Il s’effondra en 1868 lorsqu’il devint évident qu’il ne pouvait plus protéger le Japon des Américains arrivés en 1853.

Le premier shogun Togukawa parvint à unifier le pays et à engager une longue période de paix et de prospérité. Il s’ensuivit une explosion démographique, avec un doublement de la population en un siècle. Cela provoqua dès le début du 18è siècle une déforestation quasi-complète du Japon, dont les montagnes, qui composent 80 % du territoire, étaient à l’origine couvertes de forêts.

En effet, le bois était utilisé pour tout: les bâtiments, le chauffage, la fabrication du charbon. A la déforestation due à ces usages, s’ajoutait celle effectuée pour cultiver. Les conséquences furent une pénurie de bois, des conflits, de l’érosion, et des inondations dans les basses terres.

Dès lors fut mis en place une régulation nationale de l’usage du bois et un système de gestion des forêts strictement contrôlé, accompagné d’une politique de sylviculture. Parallèlement, les Japonais firent un usage plus économe du bois, grâce à des méthodes plus efficaces et à des constructions plus légères. En outre, la population et la consommation furent stabilisées en faisant appel aux principes confucéens.

L’ensemble de ces mesures portèrent leurs fruits, puisque deux cents ans plus tard, le Japon avait retrouvé ses paysages verdoyants. Cela fonctionna parce qu’au Japon les arbres poussent vite, et qu’on n’y élève ni chèvres ni moutons. Mais surtout grâce à la stabilité et à la clairvoyance d’un gouvernement qui géra son pays selon ses intérêts à long terme.

Aujourd’hui le Japon est couvert au deux tiers de forêts, et cette part reste stable. A titre de comparaison les forêts couvrent en France moins du tiers du territoire.

Comment les sociétés assurent-elles leur pérennité?

Diamond distingue deux manières de traiter les problèmes écologiques: en les gérant par le bas (bottum up) ou par le haut (top down). Les îles Tikopia et de Nouvelle Guinée sont des exemples de gestion par le bas, tout comme de nombreuses sociétés rurales auto-suffisantes. Le Japon de l’ère Togukawa est un exemple de gestion par le haut.

Dans les deux cas, le facteur qui détermine la pérennité d’une société est sa capacité à choisir une économie profitable adaptée au niveau de fragilité de son environnement.

Les sociétés contemporaines

Le Rwanda

Le Rwanda et le Burundi sont les pays d’Afrique les plus densément peuplés. Leur population était composée à l’origine à 85% de cultivateurs hutus, et à 15% d’éleveurs tutsis. La distinction ethnique fut instaurée par le gouvernement colonial belge, lequel imposa en 1931 une carte ethnique et valorisa les Tutsis.

A l’indépendance, en 1962, s’engagea une lutte contre la domination tutsi, qui fit de nombreux morts. Cette domination se maintint au Burundi, alors qu’au Rwanda les Hutus prirent le dessus. La paix civile revint en 1963, et le Rwanda comme le Burundi prospérèrent pendant quinze années.

Dans les années 1980, la densité de population était devenue telle que tout le territoire était occupé par des fermes. Les jeunes ne pouvait plus décohabiter. Les litiges liés à la possession des terres se multipliaient.

Aux conséquences usuelles de la déforestation et de la surexploitation des terres (érosions, sécheresses aggravées), s’ajoutèrent en 1989 le déclin du cours du café et du thé, puis les mesures d’austérité imposées par la banque mondiale. La famine se développa, frappant 40 % de la population en 1990 contre 9 % en 1982.

Il s’ensuivit des guerres civiles. En août 1993 un accord de paix fut signé, mais en octobre des extrémistes tutsis assassinèrent le président hutu du Burundi. En 1994 le nouveau président du Burundi ainsi que celui du Rwanda furent tués. Dans les semaines qui suivent plus de 800 000 Tutsis furent massacrés.

Au yeux de Diamond, le lien entre pression démographique et génocide est ici évident. Il estime que, si le scénario catastrophe de Malthus est loin d’être systématique, puisque bien d’autres pays vivent avec une densité de population supérieure, dans ce cas précis il s’est réalisé.

Il ne s’est pas, heureusement, renouvelé malgré une population bien plus nombreuse. La population du Rwanda et du Burundi est aujourd’hui du double de ce qu’elle était avant le génocide : elle est passé de 13,5 à 26 millions d’habitants au total. L’insécurité alimentaire y est toujours forte. Plus de la moitié des enfants subissent des retards de croissance, et plus de 40 % de la population du Rwanda est sous-alimentée (donnée indisponible pour le Burundi)6.

Pour l’anthropologue Christopher C. Taylor (Questioning Collaps), Diamond a omis une dimension culturelle importante : le caractère sacré de la royauté rwandaise. Le roi avait la responsabilité de diriger et contrôler les flux importants pour la vie et la reproduction : le sang, le sperme et le lait maternel. L’imagerie populaire montre que le président était considéré de la même façon que les anciens rois. La famine signifiait donc que le président du Rwanda était devenu un « mauvais roi », et elle motivait son sacrifice. Cependant, cela n’enlevait rien au fait que les meurtriers d’une personne sacrée sont considérés comme des ennemis de l’ordre moral. C’est pourquoi les extrémistes hutus ont pu entraîner leur communauté dans le génocide des Tutsis.

Au final, que les Tutsis aient été tués pour avoir assassiné une personne sacrée ou pour réduire le nombre de bouches à nourrir (et sans doute pour les deux raisons à la fois, l’une mise en avant et l’autre sous-jacente), la famine est bien à l’origine du drame. Cet exemple nous rappelle que la famine génère troubles sociaux et conflits, et la recrudescence de la faim dans le monde devrait nous préoccuper.

Haïti et la République dominicaine

Hispaniola était une île couverte de forêts luxuriantes, peuplée par des indiens arawaks. Ceux-ci furent décimés par les Espagnols dans les trente années qui suivirent leur installation en 1494.

Pour exploiter les mines d’or et cultiver la canne à sucre, les Espagnols firent venir des esclaves africains. Un siècle plus tard, des colons français s’installèrent sur la partie occidentale et en intensifièrent le développement. En 1785 on comptait 700 000 esclaves côté français contre 30 000 côté espagnol.

En 1804, la partie française devint la République d’Haïti, et en 1844 la partie espagnole devint la République Dominicaine. Dès le départ, la situation fut plus difficile en Haïti, qui regroupait les deux tiers de la population sur seulement le tiers du territoire. Le déboisement y était en outre déjà plus important, car les nombreux navires qui avaient amenés les esclaves étaient repartis avec du bois d’œuvre.

Par la suite les deux pays furent la proie d’instabilités politiques et de dictatures. Cependant, nous dit Diamond, les dictateurs de la République Dominicaine eurent du moins le souci de pérenniser la source de leur richesse : les ressources de leur pays.

L’exploitation du bois fut strictement contrôlée. Des réserves naturelles et parcs nationaux furent créées très tôt, et environ 30 % des terres sont désormais protégées. Ainsi les forêts couvrent-elles 28 % de la surface dominicaine contre 1 % seulement pour Haïti.

Malgré ces mesures, la République Dominicaine souffre de nombreux problèmes environnementaux : érosion, sédiments dans les rivières, surpêche, pollution due aux mines, pesticides, amas de déchets…

Pour Diamond, elle peut cependant y faire face. Par contre la situation d’Haïti lui paraît sans espoir. Il juge qu’il serait logique que la République Dominicaine lui vienne en aide, mais doute qu’elle le veuille.

Aujourd’hui la situation d’Haïti paraît effectivement désespérée. Le pays, déjà très fragile auparavant, ne s’est jamais relevé du terrible séisme de 2010, suivi de plusieurs ouragans et d’épidémies de choléra. Le PIB chute depuis 2018. Il n’y a plus de président depuis l’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021. Le pays est la proie des gangs. On peut considérer, hélas, que la société d’Haïti s’est effondrée.

Comme le craignait Diamond, la République Dominicaine ne se montre pas disposée à aider sa voisine. Elle est maintenant aussi peuplée (11 millions d’habitants) et, si elle reste un pays pauvre, son niveau de revenus est cinq fois supérieur. Par conséquent nombre d’Haïtiens cherchent refuge en République Dominicaine. Ils sont un demi-million à y vivre, sans compter les dizaines de milliers de descendants de migrants en situation irrégulière, qui sont considérés comme apatrides. Ils forment la communauté la plus pauvre, et sont en butte au racisme, aux discriminations et à l’exploitation.

Diamond a présenté ces deux exemples pour montrer qu’il n’y a pas de déterminisme environnemental. Deux sociétés partageant la même île peuvent avoir un destin très différent, selon le soin qu’elles prennent de leur environnement. Soulignons toutefois que les Haïtiens ne sont guère comptables de la déforestation léguée par les colons français, ni de l’incurie des dictateurs qui les ont longtemps gouvernés, et que l’indemnité exigée par la France lors de son indépendance a entravé le développement d’Haïti.

La Chine

La Chine est le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4 milliard d’habitants fin 2022. Le contrôle des naissance instauré en 1979 a limité le taux de croissance démographique, et la population a « seulement » doublé entre 1953 et 2001. Le nombre de ménages a crû plus fortement, du fait de la décohabitation. La Chine a ainsi connu une urbanisation galopante, accompagnée d’un développement économique fort et rapide.

Il en est résulté des atteintes à l’environnement considérables, aggravées par les transferts d’activités polluantes et de millions de tonnes de déchets depuis les pays occidentaux. La protection environnementale a été déclarée principe national fondamental en 1983, mais le développement économique est resté la priorité.

Le développement de la Chine a des impacts sur le reste du monde, notamment par ses émissions de CO2 et par ses importations de bois liées à la régulation de la coupe de bois depuis les inondations de 1998.

Diamond estimait que ce constat s’aggraverait avec l’entrée de la Chine dans l’OMC le 11 décembre 2001. Les importations et donc l’externalisation des dégâts environnementaux allait s’accroître. Et si la Chine rattrapait le niveau de consommation de l’Occident, cela doublerait l’utilisation de ressources et les impacts sur l’environnement de l’humanité dans son ensemble. Que la Chine parvienne à assurer son développement en maîtrisant son impact environnemental est donc un enjeu pour toute l’humanité.

Diamond espérait que son pouvoir central lui permettrait d’avoir une politique environnementale aussi efficace que son planning familial. Espoir qui traduit, selon l’historien Kenneth Pomeranz dans Questioning Collapse, une méconnaissance de la complexité des relations entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux.

Aujourd’hui, les prévisions de Diamond sont en partie confirmées.

Le PIB de la Chine a été décuplé en 20 ans, et représente 18 % du PIB mondial. Son PIB par habitant équivaut à la moitié de celui de la France et au tiers de celui des États Unis. S’il n’a pas rattrapé le niveau occidental actuel, il a rattrapé celui des États-Unis de 2005.

La pression sur les ressources a effectivement doublé entre 2005 et 2021, puisque le PIB mondial a été multiplié par 2. L’essor économique de la Chine n’en est toutefois pas seul responsable : il ne représente que 30 % de cette hausse. Il n’en pas moins eu des conséquences environnementales considérables, pour la Chine elle-même et pour le monde entier. Les émissions de CO2 chinoises, notamment, ont triplé sur la période7.

Parallèlement, la préservation de l’environnement a aussi accéléré. L’« airpocalypse », nuage de particules fines qui a bloqué Pékin pendant près de trois semaines en janvier 2013, a agi comme un électrochoc. Le dispositif législatif est renforcé dès 2014, et un organisme de contrôle national, le CEIT, est créé pour pallier les failles dans l’application locale8. De fait, les émissions de CO2, par exemple, augmentent beaucoup moins vite depuis lors9. Mais elles augmentent toujours, et il reste fort à faire pour que la Chine atteigne son objectif de neutralité carbone en 2060.

Diamond estimait difficile de prédire, comme pour tous les autres pays, qui gagnerait la course : les dégâts environnementaux ou la préservation de l’environnement. Aujourd’hui, si les efforts consentis par la Chine sont colossaux, il est difficile d’imaginer qu’ils seront suffisants tant que la croissance économique sera la priorité. Un paramètre nouveau va cependant peser : en 2022 la Chine a vu s’inverser sa courbe démographique.

L’Australie

L’Australie est un pays minier. Non seulement parce que la mine est la clé de son économie, mais parce qu’elle a un comportement extractiviste avec toutes ses ressources : elle ne se préoccupe pas plus du renouvellement de ses forêts et pêcheries que s’il s’agissait de minerais. Par conséquent, celles-ci disparaîtront avant que ses réserves de charbons et de fer ne soient épuisées.

Alors qu’il ne lui reste que 20% de surface boisée, elle continue d’exploiter ce qui reste de forêts natives, notamment pour vendre du bois au Japon, qui lui préserve ses propres forêts.

Elle consacre 60% de son territoire et 80% de l’eau qu’elle consomme à une agriculture qui ne représente que 3% du PNB et détruit les terres. Jusqu’à récemment, le défrichage était encouragé et financé, de même que le surpâturage. L’épuisement des sols ainsi provoqué augmente l’érosion, qui vient endommager la grande barrière de corail. L’excès d’arrosage, ainsi que les pluies sur des sols laissés nus entre deux cultures, engendrent une salinisation des couches arables. Celle-ci touche déjà 9% des terres et ne peut que s’aggraver.

Or son environnement est fragile. Ses sols sont très anciens, peu productifs et les substrats souvent riches en sel. Les eaux sont également peu nutritives, et les pêcheries sont vite surexploitées. Les pluies sont faibles et imprévisibles, hormis au sud-ouest, seul secteur où les agriculteurs peuvent espérer récolter chaque année – espoir désormais compromis par le changement climatique. L’eau douce provient essentiellement les fleuves Murray et Darling, dont les deux tiers sont captés, et qui sont chargés de toxines, de pesticides et de sel.

Sa population est bien formée, avec un niveau de vie élevé, et ses institutions et politiques et économiques sont relativement honnêtes selon les normes mondiales (sic). Ses problèmes environnementaux ne découlent donc pas d’une mauvaise gestion écologique due à la misère, ni d’un manque de conscience du bien commun, ni du seul affairisme à courte vue.

Une première cause est la déconnexion entre les australiens et leur environnement. 58% d’entre eux vivent dans cinq grandes villes (Sydney, Melbourne, Brisbane, Perth, Adélaïde) et sont essentiellement reliés au monde extérieur.

Une seconde cause est l’importation de valeurs culturelles britanniques impropres à l’environnement australien, comme l’habitude de manger du bœuf et de l’agneau.

Les Australiens sont condamnés à voir leur niveau de vie décliner s’ils poursuivent dans cette voie. Leur défi est de décider, parmi les valeurs fondamentales inhérentes à leur société, celles qui sont compatibles avec sa survie, et celles auxquelles il leur faudra renoncer.

Une prise conscience s’opère. Le défrichement est désormais interdit. Les dégâts dûs au surpâturage sont reconnus, et le nombre minimal de moutons a été remplacés par un maximum. Partout dans le pays, les initiatives privées et gouvernementales se multiplient pour remédier aux différents problèmes.

L’Australie est engagée dans la même course que la Chine : entre les mesures pour préserver l’environnement et les dégâts provoqués par le développement, qui gagnera?

Diamond conclut en disant que la manière la plus simple pour l’Australie de respecter ses engagements climatiques serait de supprimer son bétail. Une conclusion quelque peu lapidaire destinée à frapper les esprits, mais très peu appréciée de l’archéologue australien Tim Murray. Celui-ci s’insurge dans Questioning Collaps contre la présentation trop cataclysmique à ses yeux faite par Diamond. Il souligne l’ampleur des efforts engagés par le gouvernement contre la salinisation, l’épuisement des sols et la déforestation. Il place notamment son espoir dans le processus de réconciliation avec les autochtones, lesquels jouent un rôle vital dans la gestion des terres.

On voudrait partager l’optimisme de Tim Murray. Mais pour l’instant les mesures engagées par l’Australie laissent dubitatif. La création d’un marché des droits d’eau, destiné à optimiser cette ressource, a surtout permis son appropriation par l’agro-industrie et la spéculation10. La décision d’appliquer les accords de Paris pour lutter contre le changement climatique a été prise, enfin, en septembre 202211, mais les mesures concrètes se font attendre. Pendant ce temps, les effets de la salinisation12 ou des méga-incendies deviennent catastrophiques.

Le débat actuel sur les chevaux sauvages du parc de Kosciusko, qui détruisent l’écosystème mais sont considérés par certains australiens comme partie prenante de leur identité, montre que le diagnostic de Diamond est juste. La capacité de l’Australie à faire face à ses défis est partiellement entravée par sa culture, et il est indispensable que son peuple prenne le recul nécessaire pour distinguer ce qu’il peut en conserver sans compromettre sa survie. N’est-ce pas finalement ce à quoi sont contraintes toutes les sociétés industrielles aujourd’hui ?

Leçons pratiques

Les décisions catastrophiques

Diamond identifie quatre catégories de facteurs qui conduisent une société à faire les mauvais choix.

La première porte sur l’incapacité à anticiper. Une société peut échouer à prévoir les problèmes qu’elle va rencontrer pour plusieurs raisons. Par exemple parce qu’elle n’a jamais eu l’expérience d’un problème similaire dans le passé (ou qu’elle l’a oubliée), comme l’île de Pâques ou d’autres sociétés anciennes. Ou parce qu’elle a des références erronées, ce que Diamond appelle un « raisonnement par mauvaise analogie » : ainsi les Vikings ont-ils cru qu’ils pourraient pratiquer la même agriculture en Islande qu’en Norvège, puisque les deux îles paraissaient si semblables.

La seconde catégorie concerne l’incapacité à voir le problème lorsqu’il advient. Ce peut être par manque de moyens : en Australie les sols étaient épuisés bien avant qu’on ne puisse les analyser. Ou en raison de la distance entre les gestionnaires et le lieu où survient le problème. Ou encore parce que des fluctuations masquent une tendance lourde, comme pour le changement climatique au Groenland ou chez les Mayas. Enfin, ce peut être un effet de l’« amnésie du paysage », qui fait qu’on s’habitue à une lente dégradation, comme par exemple les Pascuans à la disparition progressive des palmiers de leur île.

La troisième catégorie rassemble les facteurs qui empêchent de tenter de résoudre le problème. Ils peuvent être rationnels ou irrationnels.

Les premiers sont nombreux. Ce peut être l’égoïsme, comme pour les compagnies minières du Montana qui exploitent puis ferment leur mine en laissant s’écouler arsenic, cuivre et acide. Ce peut être la « tragédie des communs » : en l’absence de régulation, chacun se sert avant que les autres ne le fassent et ainsi pâturages ou pêcheries peuvent-ils être épuisés – alors que certains communs ont été préservés pendant des centaines voire des milliers d’années, si les usagers reconnaissent leur intérêt commun et imposent eux-mêmes des quotas de récolte prudents13, comme l’ont fait les Islandais. Ce peut être le comportement du « bandit errant », telles les compagnies forestières internationales qui signent des baux de court terme de pays en pays, et se moquent de la préservation des forêts qu’elles dévastent. Ce peut être aussi le comportement d’élites repliées dans leur sphère, qui, pour préserver leurs intérêts et leur prestige, prennent des décisions nuisibles au reste de la société – à l’inverse, l’immersion de l’élite dans la société oblige les dirigeants à être conscients des effets de leur action, comme c’est le cas en Nouvelle-Guinée.

Les facteurs d’inaction que Diamond qualifie d’irrationnels sont : le déni ; les conflits entre motivations à long ou à court terme, en particulier le besoin de nourrir sa famille ; les valeurs religieuses, comme pour les Vikings du Groenland ; les valeurs profanes, telles que les valeurs rurales et d’identification à la Grande Bretagne de l’Australie. Je ne suis pas sûre qu’on puisse qualifier d’irrationnel le respect de ses valeurs, mais c’est de fait un facteur d’inaction.

La quatrième catégorie, enfin, a trait aux raisons pour lesquelles la tentative de résoudre le problème peut échouer. Ce dernier peut être au-delà de nos capacités présentes de résolution; ou une solution peut exister mais être trop coûteuse, tel l’entretien des forêts du Montana pour prévenir les incendies; ou bien nos efforts peuvent être trop tardifs ou trop minimes.

Environnement et grandes entreprises

Toutes nos sociétés dépendent de l’extraction de ressources, renouvelables ou non. Qui dit extraction dit capitaux importants et donc grandes entreprises. Il importe par conséquent de comprendre les motivations qui poussent une grande entreprise à respecter ou non l’environnement. Diamond passe en revue quatre types d’extraction de ressources : l’extraction pétrolière, celle de minerais métallifères, l’exploitation forestière et la pêche.

L’extraction pétrolière dans le Pacifique offre deux exemples complètement opposés, le premier en Indonésie sur l’île de Salawati, et le second à Kubutu en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Dans l’île de Salawati, on a créé des voies d’accès de 100 m pour accéder au puits, des torchères brûlent en permanence, des fuites de pétrole souillent le sol. A Kutubu par contre, l’accès au forage se fait par hélicoptères, les routes ne font pas plus de 10 m de large, le gaz est injecté dans des réservoirs, des consignes strictes de sécurité et de protection de l’environnement sont édictées et contrôlées, et il est interdit de chasser ; on ne voit aucune flaque de pétrole, et les espèces animales abondent.

Diamond explique cette différence de plusieurs façons. Il a visité la première en 1986, à l’époque où l’Indonésie était une dictature militaire, et où les populations ne pouvaient se faire entendre. L’exploitation était faite par la société nationale indonésienne, dont l’activité ne dépend que des décisions gouvernementales. Enfin l’île de Salawati est pour l’Indonésie une colonie considérée comme une simple source de revenus. A l’inverse, la Papouasie-Nouvelle-Guinée est une démocratie où les communautés locales ont un poids important et contrôlent les atteintes éventuelles à l’environnement. L’exploitation y était conduite par une société internationale, consciente que les catastrophes environnementales comme les retards dus à l’opposition des population coûtent cher, et soucieuse de préserver une réputation nécessaire à l’obtention de marchés ultérieurs.

L’activité minière est responsable de la moitié des pollutions industrielles aux États Unis, et elle y est en voie d’extinction en grande partie en raison de ses méfaits. L’extraction de minerai, outre l’énorme quantité d’eau qu’elle nécessite, est une activité particulièrement destructrice pour l’environnement. Les bouleversements à la surface sont la conséquence la plus visible, mais la plus grave est l’écoulement de substances toxiques qui polluent l’eau durablement. En cas de rupture des barrages derrière lesquels sont stockés les boues et déchets issus de la mine, cette pollution est catastrophique ; or il se produit un accident de ce type par an en moyenne dans le monde. Ce sont parfois des fleuves entiers qui sont pollués par des produits toxiques, entraînant la ruine de toute la région, ce qui peut conduire à des troubles sociaux à l’instar de la guerre civile de Bougainville.

Dans le cas de l’extraction métallifère, les exploitants se contentent de nettoyer et restaurer la zone à la fin de l’exploitation. C’est très insuffisant. Il faudrait capter et traiter l’eau souterraine ainsi que celle qui s’écoule hors du site pendant l’exploitation, et poursuivre tant qu’elle est polluée, c’est à dire le plus souvent pour toujours.

De plus, les coûts directs et indirects de nettoyage sont très sous-estimés, et les entreprises se déclarent souvent en faillite en fin d’exploitation afin d’y échapper.

Le coût incombe alors aux contribuables, y compris celui du traitement de l’eau à perpétuité.

De ce fait, l’opinion bloque de plus en plus les projets, et il y a de moins en moins d’étudiants pour ces filières. Il peut surprendre que ce secteur ait un tel comportement suicidaire, à la différence de ceux du pétrole ou du charbon. Les raisons en sont que les marges sont plus faibles et les profits incertains, que les coûts de nettoyages sont plus élevés, et que les problèmes de pollution sont plus insidieux. En outre, l’extraction de pétrole et de charbon ont provoqué des catastrophes énormes qui ont concerné les États-Unis eux-mêmes (celles de la mine de Buffalo Creek en 1972 et du pétrolier Exxon Valdez en 1989) et cela a généré des exigences plus fortes.

Diamond n’identifie que deux mines dans le Montana qui soient gérées de façon responsable, en collaboration avec des groupes locaux écologistes. Mais ce sont des cas très particuliers, car il s’agit de mines de platine et de palladium d’une valeur exceptionnelle, qui de plus sont souterraines et nécessitent peu de drainage acide.

L’exploitation forestière et la pêche sont, elles, renouvelables, mais à condition que la récolte soit inférieure à la vitesse de reproduction.

Les enjeux de préservation des forêts sont connus : elles filtrent l’air, absorbent le carbone, favorisent les pluies par la transpiration de la végétation, retiennent les sols et y maintiennent l’eau, et constituent l’habitat de la plupart des autres êtres vivants sur terre.

Les méthodes de gestion durables des forêts existent, mais sont loin d’être toujours respectées. En Indonésie par exemple, 70% du bois coupé provient d’activités illégales, et les exploitants n’hésitent pas à employer la force, parfois avec l’aide du gouvernement.

Ainsi la déforestation s’accélère. Or seules 12% des forêts sont protégées. Dans le pire des scénarios, toutes les forêts accessibles non protégées seront exploitées dans la prochaine décennie. Pourtant le monde pourrait satisfaire ses besoins avec une part réduite, d’environ 20%, bien gérée.

Diamond espérait que la création en 1993 du label FSC contribuerait à cet objectif. A ce jour, il semble que ce label soit utile mais perfectible et nullement suffisant14. Pour autant la surface de forêt est demeurée stable entre 2005 et 2020, mais avec une situation très contrastée suivant les continents.

La pêche fait également l’objet d’un label qui vise à limiter les dégâts de la surpêche, laquelle réduit les stocks, tue d’autres espèces, et détruit les habitats. Le MSC a été créé en 1997, mais il reste trop peu répandu et surtout méconnu en raison du grand nombre de labels qui concernent la pêche.

Diamond conclut en rappelant que les entreprises sont destinées à faire du profit, et que celles cotées en bourse sont dans l’obligation vis à vis de leurs actionnaires de maximiser leurs profits. Les blâmer ne sert pas à grand-chose à son avis. Pour lui, il n’y a que le public qui ait le pouvoir de rendre illégaux et non profitables les dommages environnementaux, en poursuivant les entreprises en justice, en préférant les produits collectés de façon durable, et en poussant les gouvernements à promulguer des lois et règlements exigeant de bonnes pratiques. Ce n’est pas qu’il juge que c’est de leur responsabilité, mais c’est ce qu’il a vu fonctionner.

Le monde comme polder

Diamond identifie douze processus par lesquels les sociétés endommagent leur environnement.

Huit sont ancestraux: la déforestation et la destruction des habitats naturels; la destruction des sols  ; la mauvaise gestion de la ressource en eau ; la chasse ou la pêche excessive ; l’introduction d’espèces allogènes qui concurrencent voire détruisent les espèces autochtones ; la croissance démographique et l’augmentation de l’impact humain par habitant.

Quatre menaces supplémentaires sont récentes : le changement climatique causé par l’homme ; l’émission de produits chimiques toxiques ; les pénuries d’énergie ; l’utilisation maximale de la capacité photosynthétique de la terre.

Cette dernière limite est pour le moins peu étayée15. A cela près, Diamond recoupe assez bien les neuf limites planétaires à ne pas dépasser qui ont été établies en 2009.

Tous ces processus interagissent et il nous faut agir sur chacun. Nous devons comprendre que tout est lié, comme nous devons réaliser que toutes les parties du monde sont désormais interdépendantes. C’est pourquoi nous devons voir le monde comme un polder : un lieu où tous partagent le même danger et doivent s’entre-aider pour y faire face. C’est cette conscience commune qui fait que les Hollandais ont un tel niveau de préoccupation environnementale.

Nous avons ainsi un dilemme terriblement difficile à résoudre, car le tiers monde ne pourra pas atteindre le niveau de vie de l’Occident sans que ce dernier ne diminue sa pression sur les ressources.

Pour la première fois nous courrons le risque d’un déclin mondial. Mais, contrairement aux Mayas, nous avons une connaissance approfondie de ce qui se passe ainsi que des solutions. Tout ce qu’il nous faut, c’est la volonté collective de les mettre en œuvre.

Ce que je retiens

Un schéma récurrent apparaît dans les différents exemples étudiés par Jared Diamond : une société s’installe dans un environnement donné ; elle se développe suivant ses valeurs et sa culture ; sa démographie s’accroît et son empreinte environnementale aussi ; le potentiel de son territoire diminue alors même que sa population a augmenté ; à ce stade, soit elle adopte des mesures qui limitent son empreinte et elle conserve l’essentiel de sa culture, soit elle se trouve fragilisée ; dans ce dernier cas, un évènement peut la précipiter dans une crise si grave qu’elle l’oblige à quitter son implantation ou à changer en profondeur sa culture ; et parfois cet évènement peut provoquer sa complète disparition.

Au niveau de dépassement des limites planétaires où nous sommes parvenus, et face aux crises qui se succèdent désormais, l’alerte lancée par Diamond sur le risque encouru par notre civilisation mérite d’être prise au sérieux.

On peut lui reprocher d’avoir, dans sa volonté d’être entendu, forcé parfois le trait en dramatisant le déclin de certaines sociétés et vu dans leur histoire ce qu’il voulait y voir. On peut aussi souligner que le choix du sous-titre « comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie » était discutable. On ne peut en effet parler de décision en la matière que pour les sociétés ayant eu la possibilité de prévoir les conséquences de leurs choix. Or, comme il le dit lui-même, ce n’était pas le cas des sociétés anciennes. Sa volonté d’appeler à l’action notre société, laquelle est effectivement en situation de décider, l’a conduit à s’exposer à la controverse et à être accusé de mépris.

On peut tout autant reprocher aux auteurs de Questioning Collapse une vigueur quelque peu excessive à combattre les hypothèses de Diamond. Cela a conduit certains d’entre eux à des dénis de réalité ou à déporter le débat. L’interprétation systématique du déclin des sociétés, même dramatique, en simple adaptation, traduit un refus du concept même d’effondrement sociétal. Ce refus, par sa véhémence, me fait soupçonner un contre-feu pour préserver le « business as usual ». Quoiqu’il en soit, il fait peu de cas des sociétés déjà en train de s’effondrer ou au bord du gouffre – en cours de désertification ou menacées de submersion – et cela du fait des émissions accumulées de gaz à effet de serre du monde occidental. Cela témoigne, à mon sens, d’un mépris bien plus tangible.

Au-delà de la controverse, Effondrement est un ouvrage qui mérite toute notre attention. Parmi la multitude d’enseignements à en tirer, j’en soulignerais quatre.

Le premier est le rôle que joue l’organisation politique dans la capacité des dirigeants d’une société à prendre les bonnes décisions. Un système où la population est associée aux décisions, et où les dirigeants vivent dans les mêmes conditions que le reste du peuple, offre de meilleures chances de faire les bons choix. A défaut, la survie de la société reposera sur la clairvoyance et le sens de l’intérêt à long terme de ses dirigeants.

Le second est que, parmi les douze processus cités par Diamond, la déforestation et la mauvaise gestion de la ressource en eau sont fondamentaux. Dans tous les exemples d’effondrements cités, hormis le Groenland, ils constituent la genèse de la catastrophe. Préserver les forêts et le cycle de l’eau devrait être une priorité absolue, d’autant plus à l’heure du changement climatique.

Le troisième est que l’extraction de métaux est non seulement une activité extrêmement polluante, mais qu’il est très difficile d’en diminuer l’impact. Or la transition énergétique requiert énormément de métaux. Il y a là un enjeu essentiel16, qui doit nous conduire à limiter le besoin d’extraction grâce à des conceptions permettant le recyclage, et à interroger un développement du numérique bien au-delà de nos besoins réels.

Le quatrième est qu’après un effondrement du à une détérioration environnementale, la régénération de l’environnement ne va pas de soi. L’engloutissement des cités mayas par la forêt est même plutôt une exception. La quasi stérilisation de la terre est bien plus fréquente. Ce constat effrayant est une motivation supplémentaire à agir rapidement.

S.F.G

1 Source : Wikipedia

2 Complexité s’entend ici en tant que richesse des institutions

3 Cuivre, or

4 Les Vikings se convertirent au christianisme vers l’an 1000

5Source: Statista – La faim dans le monde s’aggrave – juillet 2022

6Source : https://www.fao.org/3/I7695f/I7695f.pdf page 97

7Source : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/EN.ATM.CO2E.KT?locations=CN

8 Source : https://vert.eco/articles/ecologie-la-chine-ne-fait-pas-les-choses-a-moitie-pour-le-meilleur-comme-pour-le-pire

9 Source : https://donnees.banquemondiale.org/indicator/EN.ATM.CO2E.KT?locations=CN

10 Lire l’article dans Initiative pour l’avenir des grands fleuves : Quelle est la prochaine étape pour la gestion de l’eau en Australie ?. Regarder le documentaire sur Arte : « Main basse sur l’eau ».

11 Source https://reporterre.net/Apres-dix-ans-d-inaction-climatique-l-Australie-vote-une-loi-climat

12 Voir « Salis », le sel d’Australie vu du ciel, photographies de Fanny Arlandis

13 Voir mon article sur la gestion des biens communs

14 Grennpeace : FSC, protection ou exploitation des forêts

15 https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-sciences-cultures-societes-2008-1-page-147.htm

16 Voir : Ruée minière au XXIè siècle : jusqu’où les limites seront-elles repoussées ? – Aurore Stephant à USI

2 commentaires sur « Effondrement, de Jared Diamond »

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer