Les enseignements de la Convention Citoyenne pour le Climat

publié le 29 avril 2021

La France a pris l’engagement, dans le cadre de l’accord de Paris, de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 d’au moins 40% par rapport à 1990.

Un tel objectif appelle des mesures pouvant être financièrement et/ou réglementairement contraignantes, susceptibles d’être jugées inacceptables par les citoyens si leur impact social n’est pas anticipé et accompagné. Ainsi l’augmentation du prix des carburants, suite à la hausse de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, a-t-elle été le déclencheur du mouvement social des gilets jaunes.

Suite à ce mouvement, le gouvernement a organisé le « Grand débat national », au cours duquel le collectif « Gilets citoyens » et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont proposé de mettre en place une convention citoyenne, qui serait chargée de faire des propositions pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le gouvernement a ainsi décidé de créer la Convention Citoyenne pour le Climat et de lui soumettre la question: « comment réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale? ». Il lui a demandé de formuler des propositions concrètes, et de préciser pour chacune si elle devait être transmise par le gouvernement sans modifications au parlement, ou être soumise à référendum.

Les médias ont beaucoup parlé de cette Convention, expérience démocratique inédite en France, et de quelques-unes de ses propositions, mais ils sont peu rentrés dans le détail de son fonctionnement et ont rarement présenté la globalité de ses propositions. Or, justement parce qu’il s’agit d’une expérience inédite et qu’elle s’est avérée fructueuse, dans la mesure où la Convention a pu répondre à la question posée, il est intéressant d’examiner les modalités de fonctionnement qui ont permis cette réussite. Il est également utile de donner une vision plus globale des propositions faites, au-delà de l’énumération de quelques mesures plus ou moins emblématiques, car c’est la seule façon de montrer l’ampleur de l’effort que nous avons à faire. De plus l’objectif de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre ne pourra être atteint si toutes ces propositions ne sont pas retenues. Comme cet objectif s’impose à nous, il nous faudra bien revenir sur chacune d’entre elles – autant donc s’y préparer.

L’organisation de la Convention a été confiée au Conseil Économique Social et Environnemental, lequel a mis en place un comité de gouvernance composé de personnalités qualifiées dans les domaines de la lutte contre le dérèglement climatique, de la démocratie participative et du champ économique et social. Ce comité était co-présidé par Thierry Pech, directeur général de la Fondation Terra Nova1 et par Laurence Tubiana, présidente et directrice exécutive de la Fondation européenne pour le climat2. Ce comité a défini les modalités de désignation des citoyens et a mis en place une équipe d’appui et une équipe d’animation.

Les 150 citoyens qui y ont participé ont été tirés au sort par l’institut Harris Interactive, de façon à être représentatifs de la population française en termes de sexe, d’âge, de niveau de diplôme, de catégories socio-professionnelles, de type de territoire (grands pôles urbains, deuxième couronne, communes rurales), et enfin de répartition sur le territoire métropolitain et ultra-marin.

Le groupe d’appui, composé de 14 experts, a conseillé les membres de la Convention dans l’exploration des pistes de travail et l’élaboration de leurs propositions.

L’animation a été assurée par 16 professionnels de l’ingénierie et de l’animation du dialogue citoyen3, en suivant des protocoles mis au point préalablement par les animateurs et le Comité de gouvernance.

Le comité de gouvernance a proposé à des chercheurs de toutes disciplines de suivre cette expérience. Ils ont été une trentaine à y participer pour étudier ses modalités et ses résultats en termes de politiques climatiques ou d’exercice démocratique, les conditions sociopolitiques de son émergence et de prise en compte de ses résultats. Leur retour sera sans aucun doute riche d’enseignements.

Enfin, le Comité de Gouvernance a fait appel à plusieurs centres de recherche pour constituer une équipe de personnes ressources, prête à répondre aux questions factuelles des membres de la Convention. Ces universitaires, issus de disciplines différentes, ont participé bénévolement aux sessions de travail.

Il importait d’assurer l’indépendance des travaux de la Convention, et de veiller au respect des principes d’impartialité et de sincérité. Telle a été la mission des trois garants: Cyril Dion, nommé par le président du CESE, Anne Frago, Directrice du service de la culture et des questions sociales à l’Assemblée Nationale, nommée par le Président de l’Assemblée Nationale, et Michèle Kadi, Directrice générale honoraire des services du Sénat, nommée par le Président du Sénat.

Une telle organisation a nécessairement un coût. Le budget attribué au CESE pour l’organisation logistique, l’indemnisation des citoyens, le tirage au sort, l’animation des séances (animateurs et experts), s’est élevé à 5,4 millions d’euros.

Les travaux de la Convention se sont déroulés en 7 sessions de 3 jours, d’octobre 2019 à juin 2020, plus une session en février 2021 destinée à l’évaluation de la reprise par le gouvernement des propositions faites. Le rapport final a été adopté lors de la session de juin 2020. En outre une contribution au plan de sortie de crise a été produite en avril 2020.

Le comité de gouvernance a défini cinq thématiques de travail: se loger, se déplacer, se nourrir, consommer, produire et travailler.

Lors de la première session, ont été présentés un état des lieux de l’action de la France et les écart observés entre objectifs et réalités de la politique climatique; puis la Convention a travaillé sur la notion de justice sociale et sur les points de blocage.

La seconde session a été consacrée aux objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre, et aux outils existants pour les atteindre.

Durant les sessions suivantes, les conventionnels ont travaillé par groupes de travail thématiques, groupes dans lesquels ils avaient été répartis par tirage au sort. Ils ont pour chaque thématique défini des objectifs et élaboré des propositions de mesures, puis réfléchi aux modalités les plus appropriées pour leur mise en œuvre. Ils ont entre autre utilisé la fresque de la Renaissance écologique proposée par Julien Dossier. Ils se sont, durant ces sessions, régulièrement réunis en assemblée plénière pour débattre de sujets transversaux: la constitution, les messages forts à faire passer, les principes de financement…

La session de juin a été consacrée à la présentation et à l’approbation des objectifs et propositions, puis au vote du rapport final et à sa remise à la ministre de la transition écologique.

Pour alimenter leur travaux, les conventionnels ont auditionné, en plénière ou en groupe de travail, un très grand nombre d’intervenants: élus, ONG, entreprises, syndicats, institutions, think thank, universitaires… Jean-Marc Jancovici a fait partie des intervenants.

Entre chaque session, le comité de gouvernance s’est réuni pour préparer la session suivante, avec la participation de conventionnels volontaires.

En réponse à la question qui lui a été soumise, la Convention a proposé 48 objectifs, déclinés en 149 mesures, concrètes, étayées, et souvent accompagnées d’une transcription législative prête à être reprise dans un projet de loi. L’impact climatique de chaque objectif a été noté de 1 à 3. Chaque objectif a été soumis au vote de l’ensemble des conventionnels. Ces propositions sont consultables sur le site de la convention, et bien sûr dans le rapport final. La synthèse du rapport présente les objectifs mais non les mesures. J’ai donc récapitulé ces dernières dans ce document, qui en donne une vue moins dynamique mais plus globale que la consultation du site:

Dans toutes les thématiques prédomine le souci de guider les citoyens vers des modes de vie et de production plus sobres via un cadre facilitateur et incitatif plutôt que contraignant. La recherche d’un équilibre entre l’urgence d’agir et l’acceptabilité des mesures est affirmée et manifeste.

Dans le domaine de la consommation les propositions font ainsi une place importante à l’éducation et à l’information des citoyens (instauration d’un score carbone par exemple4), ainsi qu’à la régulation de la publicité. Plusieurs mesures visent à lutter contre le suremballage (obligation d’une part croissante de vrac dans les magasins, consignes…). Les conventionnels ont aussi noté la nécessité d’assurer un contrôle effectif des politiques publiques environnementales, dont ils ont constaté l’insuffisance.

La thématique « se déplacer » comporte la mesure qui a paru aux conventionnels être la plus contraignante pour les citoyens: l’abaissement à 110 km/h de la limitation de vitesse sur autoroute, mesure qu’ils ont néanmoins retenue en raison de sa très grande efficacité (baisse de 20% des gaz à effet de serre émis sur route). Diverses dispositions sont proposées pour accélérer les politiques des collectivités en faveur des modes doux de déplacement (augmentation du fond vélo de 50 à 200 millions d’euros par exemple), pour inciter à l’usage du train (réduction de la TVA et investissements massifs), et réduire le transport routiers de marchandises (ex : développer les « autoroutes » de fret maritime et fluvial) ainsi que le transport aérien (ex: suppression des lignes intérieures assurant un trajet faisable en train en moins de 4h). Pour aller rapidement vers un parc de véhicules plus propre sont proposées des mesures à la fois incitatives (augmentation des bonus et malus, avec prise en compte du poids du véhicule dans le malus), coercitives (interdiction de commercialiser les véhicules neufs les plus polluants dès 2025), et facilitatrices (développement de la location longue-durée, prêts à taux zéro, formation des garagistes au changement de système de motorisation…).

Pour « se loger » de façon plus sobre, la Convention conclut qu’il faut réduire drastiquement la consommation énergétique des bâtiments et la consommation d’espace. Constatant que les politiques successives d’incitation à la rénovation thermique des logements n’ont pas suffi, la Convention propose de rendre obligatoires ces rénovations d’ici à 2040, moyennant un système d’aides adapté. Elle propose aussi de limiter le chauffage des bâtiments à 19° et d’interdire la climatisation en deçà de 30°C. Pour permettre d’habiter le territoire de façon plus sobre, elle formule une série de mesures qui visent à densifier la ville et à éviter l’artificialisation des sols; elle prône l’abandon du modèle de la maison individuelle et le renforcement de l’attractivité des villes et villages.

Dans le cadre du domaine « Produire/Travailler » la Convention juge nécessaires des contraintes réglementaires pour que les produits aient une plus grande longévité et soient réparables, pour que le plastique soit recyclé, et pour que soit effectif un réel bilan des émissions en CO2 des entreprises. Elle prévoit aussi des aides financières pour accompagner la transformation de l’outil de production; pour financer ces aides, elle suggère de taxer les entreprises distribuant des dividendes, de mobiliser l’épargne gérée par la Caisse des Dépôts, et de souscrire un emprunt d’État dédié. La convention s’est par ailleurs prononcée pour une plus grande implication des territoires et des citoyens dans la production d’énergies renouvelables, et un développement de l’autoconsommation, c’est-à-dire la possibilité pour un particulier producteur d’électricité de consommer lui-même l’électricité produite; aujourd’hui les installations individuelles sont surtout configurées pour alimenter le réseau d’électricité.

« Se nourrir » est la thématique qui fait l’objet du plus grand nombre d’objectifs, visant à transformer la façon de se nourrir et celle de cultiver, à protéger les agriculteurs, et à préserver les écosystèmes. Des propositions précises sont faites pour faire de la restauration collective le creuset d’une alimentation saine et responsable, et pour développer l’agroécologie en mobilisant la formation, la fiscalité, les aides de la PAC… La nécessité d’appliquer de façon effective la loi Egalim2 est rappelée, et il est demandé d’adapter la politique commerciale, qui permet l’importation de produits soumis à des réglementations moins strictes (ex: renégocier le CETA). L’information des citoyens fait, dans ce domaine également, l’objet d’une attention particulière avec la suppression des labels privés5, qui nuisent à la lisibilité des labels officiels, et une information renforcée sur les produits transformés. Un suppression progressive des additifs alimentaires et des auxiliaires de production6 est proposée. Enfin plusieurs mesures visent à réduire l’impact de la pêche sur les océans.

C’est ce dernier groupe de travail qui a proposé de soumettre à référendum une loi « qui pénalise le crime d’écocide dans le cadre des 9 limites planétaires7 et qui intègre le devoir de vigilance et le délit d’imprudence, dont la mise en œuvre est garantie par la Haute Autorité des Limites Planétaires », laquelle serait créée à cette fin.

En outre, la Convention a souhaité que soit également soumise à référendum une modification de notre Constitution, afin que la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité, en devienne un principe premier, et que soit affirmé que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».

Cette expérience démocratique inédite en France a ainsi montré que les citoyens étaient prêts à se mobiliser pour l’intérêt général, si on le leur demandait; qu’ils étaient prêts à donner durant neuf mois une grande part de leur temps (essentiellement de leur temps libre, les sessions se déroulant le vendredi et les week-end); que, quel que soit leur âge ou leur formation, ils pouvaient en quelques jours se former aux enjeux du bouleversement climatique et appréhender les leviers possibles; et enfin que 150 personnes tirées au sort peuvent, avec les méthodes d’intelligence collective, produire et s’accorder sur des propositions concrètes et ambitieuses. Elle est donc de ce point de vue une réussite incontestable.

Cette expérience a marqué les conventionnels. La page d’introduction à la synthèse du rapport traduit leur prise de conscience de l’enjeu, l’intensité de l’engagement qui en est résulté, et l’apport pour chacun de cette « expérience humaine inédite et intense ». Ils ont vécu une aventure collective, qui a créé entre eux et avec ceux qui les ont accompagnés, des liens forts; l’émotion qui a marqué les minutes suivant l’approbation du rapport final en témoignait8. Beaucoup sont désormais des ambassadeurs de la cause climatique dans leur territoire. Tous sont prêts à continuer à s’engager pour défendre leurs propositions, et poursuivre avec les composantes de notre société ce débat essentiel. Ils ont fondé à cette fin une association: « les 150« .

Ainsi, cette Convention n’a pas seulement apporté une réponse concrète à la question « comment réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030, dans un esprit de justice sociale? », elle a aussi construit un collectif de citoyens compétents et porteurs, pouvant lui-même être un levier et ne demandant qu’à jouer ce rôle. S’appuyant sur ce collectif, le gouvernement aurait pu conduire un vaste mouvement de sensibilisation à l’enjeu climatique, et préparer les esprits à la mise en œuvre des solutions proposées. Mais cela n’aurait eu de sens que s’il avait choisi de les promouvoir. Or il semble que tel n’ait pas été le cas.

Le Président de la République et le gouvernement avaient pris l’engagement de soumettre « sans filtre » les propositions de la Convention soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe. Pourtant il en a écarté un grand nombre et édulcoré un plus grand nombre encore. Seules 10 sur 146 ont été effectivement transmises « sans filtre »9.

Les conventionnels ont évalué, lors d’une ultime session, la façon dont ses propositions ont été reprises par le gouvernement. Après que celui-ci leur ait présenté l’ensemble de ses réponses (Projet de loi Climat et Résilience, Projet de loi relatif à la Constitution, Loi de finances 2021, plan de relance, mesures réglementaires, positions internationales et européennes de la France…), les conventionnels les ont notées, objectif par objectif. Ils les ont jugées insuffisantes. Ils ne sont pas les seuls: le Conseil national de la transition écologique (CNTE), le Conseil économique, social et environnemental (Cese), le Haut Conseil pour le climat estiment que le projet de loi Climat et Résilience ne permet pas d’atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 – alors même que l’Europe vient de porter cet objectif de réduction à 55 %.

Ce constat est certainement une déception pour tous ceux qui ont participé à la Convention, et un motif d’inquiétude pour beaucoup. Pour autant, les enseignements de cette expérience demeurent et sont source d’espoir. Nous savons désormais que les citoyens, quelle que soit leur connaissance et leur point de vue sur le sujet, s’ils sont correctement informés, prennent conscience de l’enjeu et de l’urgence d’agir. Nous savons maintenant qu’ ils ont la capacité, avec une animation adaptée, de trouver ensemble des solutions aux problèmes les plus complexes. Nous savons enfin qu’il est possible d’agir avec ambition pour lutter contre le dérèglement climatique. Et quel que soit le sort qui sera finalement réservé par le Parlement aux propositions de la Convention, celles -ci restent une ressource pour cette lutte qui ne fait que commencer.

S.F.G.

1 Laboratoire d’idées, créé en 2008 par Olivier Ferrand, se voulant progressiste et indépendant

2 Fondation philanthropique créée en 2008 et visant à promouvoir des politiques pouvant réduire les émissions de gaz à effet de serre en Europe

3 Professionnels des cabinets Missions Publique, Res publica et Eurogroup Consulting

4 Indicateur permettant d’informer le consommateur sur le bilan des émissions de gaz à effet de serre provoquées par un produit, de sa fabrication/extraction de matières premières, son stockage, son transport vers le lieu de distribution et de consommation, jusqu’à son traitement en tant que déchet ou encore son recyclage (sur le modèle du nutriscore, qui permet d’informer sur la valeur nutritionnelle d’un produit alimentaire)

5 Par exemple : « viandes de France » ou « Bleu Blanc Coeur » ; pour en savoir plus : https://www.planete-cuisine.com/15/encyclopedie-les-labels-alimentaires

6 substance utilisée par l’industrie agroalimentaire durant la préparation ou la transformation d’aliments

7 le changement climatique, les changement dans l’intégrité de la biosphère (diversité génétique et diversité fonctionnelle), la déplétion de l’Ozone stratosphérique, l’acidification des océans, les flux biogéochimiques, le changement du système terrestre (au sens des terres, Land-system change), l’utilisation d’eau douce, la quantité d’aérosols atmosphérique et l’introduction de nouvelles entités (produits chimiques, OGM…).

8 Voir la dernière vidéo de la session de juin, à partir de la 52ème minute: https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/2020/06/22/retrouvez-lintegralite-de-la-session-7-de-la-convention-citoyenne/

9 https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/convention-citoyenne-sur-le-climat/infographie-le-projet-de-loi-climat-et-resilience-ne-reprend-que-10propositions-de-la-convention-citoyenne-sans-filtre_4309153.html

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